Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) publie aujourd’hui le second volet du Sixième Rapport d’Évaluation (AR6) “Impacts, Adaptation et Vulnérabilité”. Cette nouvelle publication constitue le deuxième d’une série de trois volets publiés dans le cadre de l’AR6, et qui se conclura avec la publication d’un Rapport de Synthèse, prévue en Septembre 2022. Véritable synthèse de la compréhension actuelle des conséquences du changement climatique sur les écosystèmes et sociétés humaines, elle évalue, à travers l’analyse de 127 risques, les vulnérabilités, les impacts, et l’adaptation au changement climatique. Parmi les nombreux sujets traités par les 270 experts ayant contribué à ce rapport, l’océan et ses écosystèmes sont abordés au sein de plusieurs chapitres, et plus spécifiquement dans le chapitre 3 “Oceans and Coastal Ecosystems and their Services”.

Et leurs conclusions sont sans appel : “le changement climatique d’origine anthropique expose l’océan et ses écosystèmes à des conditions sans précédent depuis des millénaires”. Réchauffement de l’océan, élévation du niveau de la mer, acidification, désoxygénation ou encore multiplication des événements extrêmes sont autant de phénomènes liés au changement climatique ayant des conséquences croissantes sur la biodiversité marine et sur la population mondiale. Associés aux pressions issues des activités humaines (urbanisation des littoraux, pollutions, surexploitation des ressources marines…), la combinaison de ces différents impacts aggrave la vulnérabilité des écosystèmes marins et côtiers, ainsi que celle de l’ensemble des sociétés qui en dépendent. Malgré un certain nombre d’actions déjà mises en place pour y répondre, les auteurs appellent à renforcer sans plus attendre les mesures d’adaptation, en particulier pour les populations les plus exposées.

 

Des écosystèmes marins côtiers de plus en plus vulnérables face aux pressions combinées du changement climatique et des activités humaines

Ce second volet souligne que les effets du changement climatique sont déjà visibles sur de nombreux écosystèmes marins et côtiers, et affectent le rythme saisonnier, la distribution géographique et l’abondance des organismes marins. À court terme, certains risques liés au changement climatique sont inévitables voire irréversibles du fait des trajectoires d’émissions de gaz à effets de serre (GES) passées et attendues.

Les vagues de chaleur océaniques successives ont par exemple exposé certaines espèces à des conditions auxquelles elles ne peuvent plus s’adapter. C’est le cas des mangroves, des forêts de laminaires ou encore des récifs coralliens qui ont déjà subi de fortes pertes – alors même que ces écosystèmes jouent un rôle primordial pour la biodiversité et les sociétés humaines en leur fournissant de nombreux services écosystémiques. Le risque d’extinction de certaines espèces océaniques vivant dans les « points chauds de biodiversité » (biodiversity hot spot) pourrait être multiplié par 10 si le réchauffement passe de 1.5°C à 3°C . Le GIEC rappelle ainsi l’urgente nécessité de maintenir le réchauffement global en dessous des 1,5°C pour réduire les impacts. A l’inverse, un réchauffement excédant ce seuil présente de sérieux “risques de dépassement” (“overshoot risks”). Au- delà du seuil de 2°C, les risques de “disparition, d’extinction et d’effondrement des écosystèmes s’intensifient rapidement.” Un réchauffement extrême global dépassant 5.2°C pourrait ainsi causer une extinction de masse des espèces marines.

Ces impacts du changement climatique interagissent avec les pressions issues des activités humaines qui rendent d’autant plus vulnérables les écosystèmes. Le GIEC pointe d’ailleurs le faible niveau de protection de l’océan dont moins de 8% de la surface est couvert par un régime de protection. Un degré de protection ainsi que des moyens de gestion qualifiés d’insuffisants pour empêcher davantage de dommages liés à la surexploitation des ressources, la pollution ou la fragmentation des habitats. Le GIEC appelle ainsi à ce que 30 à 50% des espaces marins et terrestres soient protégés afin de conserver les écosystèmes et “garantir les services écosystémiques essentiels”, rappelant que “Le maintien de la santé planétaire est essentiel pour la santé de l’homme et de la société et constitue une condition préalable à un développement résilient au changement climatique. La dégradation des écosystèmes aggrave donc notre propre vulnérabilité face au changement climatique.

 

Les sociétés humaines exposées à des risques grandissants

De même, les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines sont croissants et déjà observables à travers le monde – certains groupes humains étant plus exposés et vulnérables du fait des conditions géographiques et socio-économiques dans lesquelles ils vivent. La pauvreté, les inégalités, les conflits ou encore l’injustice climatique sont autant de facteurs aggravants. A ce titre, le continent Africain, les régions d’Asie du Sud-Est, d’Amérique Centrale et les petits États insulaires, sont comparativement plus vulnérables que les pays développés face au changement climatique.

Le GIEC note également les multiples impacts sur la santé physique et mentale. Par exemple, la diminution d’accès aux ressources maritimes expose à la précarité alimentaire certaines communautés dont le régime repose sur la pêche (poissons, mollusques). Le rapport souligne également les effets négatifs que peuvent avoir les événements extrêmes tels que d’importantes inondations côtières et tempêtes sur les performances cognitives, le bonheur, le bien-être ou encore la satisfaction de vie en générale.

A cet égard, les populations côtières sont particulièrement menacées par l’élévation du niveau de la mer et les risques qui y sont associés, qui pourraient “être multipliés par dix bien avant 2100 si aucune mesure d’adaptation et d’atténuation n’est prise, comme convenu par les parties à l’accord de Paris”.

 

Focus : Faire face aux impacts croissants de l’élévation du niveau de la mer

Conséquence directe du réchauffement global, l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée au cours du XXème siècle et pourrait s’élever d’un mètre d’ici 2100 dans un scénario à fortes émissions de GES. Ce phénomène est irréversible et devrait se poursuivre au cours des siècles et millénaires à venir. Pour autant, sa rapidité et les risques d’érosion et de submersion, de perte d’habitats et d’écosystèmes côtiers et de salinisation des terres qui y sont liés seront différés dans le temps dans le scénario où le réchauffement est maintenu sous les 1,5°C.

Les littoraux et leurs populations sont d’autant plus vulnérables que ce phénomène est rapide et que le développement urbain se poursuit. En effet, les littoraux sont des territoires dynamiques qui attirent toujours plus les populations et leurs activités. D’après ce rapport, l’élévation du niveau de la mer pourrait ainsi directement menacer plus d’un milliard de personnes d’ici 2050 et entre 7 et 14 trillions de dollars d’infrastructures côtières d’ici 2100. Pour certaines communautés d’Arctique et petits États insulaires, c’est leur existence même qui est en jeu. Mais les conséquences ne sont pas seulement locales. Le potentiel d’effets cumulés et domino à l’échelle globale est fort. A titre d’exemple, l’approvisionnement en biens et services étant grandement dépendant du transport maritime mondial, l’ensemble de la chaîne serait gravement perturbée par les éventuels dommages sur les infrastructures portuaires.

Face à ce constat, des stratégies d’adaptation transformatives et urgentes sont nécessaires afin d’éviter la maladaptation, comprise comme des mesures pouvant exacerber l’exposition et la vulnérabilité. Jusqu’à présent, l’approche privilégiée a été de construire des digues et barrières en réaction à des événements extrêmes. Or ces mesures tendent à renforcer la vulnérabilité des populations et des écosystèmes en créant des déséquilibres sédimentaires, en nuisant aux écosystèmes côtiers et en ne désincitant pas l’installation de communautés dans les zones exposées. De fait, de nombreux récifs coralliens, mangroves et herbiers marins ont déjà subi d’importants dégâts et pourraient dépérir. A terme, leur disparition pourrait fragiliser les défenses naturelles des littoraux et exposer d’autant plus les sociétés humaines. 

La difficulté réside à penser l’adaptation dans un contexte d’incertitude quant à l’ampleur et le rythme d’élévation du niveau de la mer, et face à la grande diversité des conditions physiques et socio-économiques locales. A ce titre, le GIEC met l’accent sur le séquençage et mixage de mesures d’adaptation par le biais de “trajectoires d’adaptation”. En d’autres termes, il s’agit de penser un portfolio d’interventions qui peuvent être ajustées en réponse aux évolutions climatiques et non-climatiques et en fonction d’objectifs économiques, environnementaux, socio-culturels, institutionnels ou encore techniques. Ces interventions peuvent à la fois être des mesures de protection (digues, réensablement, restauration de mangroves), d’accommodation (surélévation des infrastructures, systèmes d’alertes, drainage), d’avancement (poldérisation) ou de retrait (relocalisation dans les terres d’activités et d’habitations), et pourront être combinées et modifiées dans le temps et l’espace.

 

Vers des changements transformatifs pour une adaptation efficace et juste face au changement climatique

Pour éviter des pertes croissantes, il est urgent d’agir pour s’adapter au changement climatique. Dans le même temps, il est essentiel de réduire rapidement et profondément les émissions de gaz à effet de serre afin de conserver un maximum de possibilités d’adaptation.” Hans Otto Pörtner, co-chair du groupe de travail II du GIEC.

Alors que les impacts du changement climatique sont déjà visibles et devraient s’accroître à chaque degré supplémentaire, ce second volet du Sixième Rapport d’Évaluation du GIEC fait état de l’urgence à trouver des solutions durables d’adaptation pouvant être “efficaces, faisables et justes” et capables de réduire les risques pour les sociétés et les écosystèmes. Depuis la publication du cinquième rapport (AR5), les exemples d’adaptation au changement climatique se sont multipliés dans tous les secteurs et partout dans le monde puisque 170 pays intègrent aujourd’hui l’adaptation dans leur politique climatique. Cependant, le GIEC met en garde sur l’écart considérable entre les moyens mis en œuvre à l’heure actuelle et ceux qui seront nécessaires à l’avenir. En effet, si les politiques d’adaptation sont bien souvent déployées en réaction à des événements extrêmes et de façon incrémentale, ces dernières vont atteindre des limites techniques, institutionnelles et socio-économiques. Comme le souligne Hans Otto Pörtner “Toute action et tout compromis à court terme doit avoir à l’esprit les implications de long terme”.

Selon le GIEC, un véritable changement de paradigme s’impose vers des “changements transformatifs, soutenus par une atténuation ambitieuse”. Le répertoire de solutions est considérable et peut combiner des stratégies de renforcement de la résilience avec des mesures de gestions des changements inévitables. A ce titre, développer l’adaptation fondée sur les écosystèmes peut apporter de nombreux co-bénéfices. En plus de constituer des zones tampons protégeant les littoraux des ondes de tempêtes et des risques d’inondation, les écosystèmes côtiers tels que les prés-salés constituent d’importants habitats pour une grande diversité d’espèces et participent à la captation de carbone. Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement, a ainsi résumé cette idée lors de la conférence de presse : « Sauvegarder la nature est le meilleur moyen de s’adapter au changement climatique et de le ralentir. La nature peut être notre sauveur, mais seulement si nous la sauvons d’abord« .

Ces changements transformatifs et urgents appellent à la mise en place de nouveaux cadres de gouvernance et de ressources supplémentaires. Réformer les modalités de prise de décisions vers une plus grande transparence et intégration des populations, tout en prenant en compte les écosystèmes vulnérables, est indispensable au développement de stratégies adaptées et justes. Parallèlement, renforcer la recherche et améliorer les connaissances scientifiques et leur diffusion sont des conditions nécessaires à une prise de conscience et de décisions informées des décideurs et citoyens. Il s’agit également de renforcer l’accès aux ressources financières, notamment en associant le secteur privé et en développant les capacités économiques locales.

Dans cette perspective, le GIEC appelle à renforcer les “partenariats entre la science et les décideurs, mais également avec les groupes les plus vulnérables”, particulièrement les peuples autochtones, afin “d’intégrer à toutes les étapes – de la connaissance à la décision – ceux qui souffrent en premier lieu des conséquences du changement climatique et de la maladaptation.

 

L’adaptation et l’atténuation en promouvant l’innovation sociale, la santé, l’équité, l’inclusivité dans leur mise en œuvre et leur résultat, ont le potentiel d’offrir de nombreux co-bénéfices pouvant permettre l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) et de l’Accord de Paris. Des objectifs que nous devons impérativement atteindre comme le rappellent les auteurs. Des réponses globales, efficaces et innovantes peuvent favoriser les synergies et réduire les compromis entre l’adaptation et l’atténuation afin de faire progresser le développement durable.

Un message fort porté par Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU :L’adaptation et l’atténuation doivent être menées de front. Chaque fraction de degré compte, chaque voix est importante, chaque seconde compte.” 

 

Sarah Palazot, Anaïs Deprez, Lara Lebleu (Ocean & Climate Platform)