L’environnement marin a joué un rôle déterminant dans l’histoire de la vie et l’océan actuel garde son rôle primordial dans cette évolution, ainsi que dans celle du climat. La diversité spécifique reconnue dans les océans ne dépasse pas 13 % de l’ensemble des espèces vivantes actuellement décrites, soit moins de 250000. Cela peutêtre dû d’une part à un manque de connaissances, surtout pour les zones profondes et pour les microorganismes, d’autre part au fait que les écosystèmes marins et le mode de vie dans un milieu continu dispersent plus facilement les espèces et prédisposent moins à l’endémisme. Par contre, les biomasses marines peuvent être considérables. Le dérèglement climatique joue un rôle direct sur les pertes de diversité biologique, et celles-ci contribuent aussi en retour au dérèglement lui-même.
Les récifs coralliens recouvrent une faible surface des océans, entre 0,08 et 0,16 %, mais abritent environ un tiers de toutes les espèces marines connues à ce jour. Ce succès écologique est dû à une symbiose entre le corail et des microalgues intracellulaires communément appelées zooxanthelles. « Organismes ingénieurs », ils sont à l’origine des plus vastes bioconstructions de notre planète. Véritables oasis de vie, ils assurent la subsistance directe à plus de 500 millions de personnes dans le monde grâce à la pêche, mais leur intérêt pour l’homme va bien au-delà : protection des côtes contre l’érosion, zones de haute valeur touristique… Les services écologiques issus des récifs coralliens sont estimés à environ 30 milliards d’US$ par an. Leur croissance est dépendante de nombreux facteurs (lumière, température, pH, nutriments, turbidité..) Ils sont donc extrêmement sensibles aux changements actuels de notre environnement : réchauffement des eaux, acidification des océans, qui s’ajoutent aux perturbations locales (pollution, sédimentation, aménagement des côtes, surpêche, trafic maritime…). Ainsi, une élévation de moins d’un degré au-delà d’une valeur seuil suffit à provoquer le blanchissement, c’est-à-dire la rupture de la symbiose corail – zooxanthelles, de vastes populations coralliennes, pouvant conduire à la disparition du récif. De même l’acidification des océans perturbe la formation du squelette corallien ainsi que de nombreuses autres fonctions biologiques comme la reproduction. On estime actuellement qu’environ 20 % des récifs ont définitivement disparu, que 25 % sont en grand danger et que 25 % supplémentaires seront menacés d’ici à 2050 si aucune action de gestion n’est menée.
Depuis les années 1980, la température moyenne à la surface des océans ne cesse d’augmenter, renforçant l’intensité, la durée et l’étendue du phénomène de blanchissement du corail. La période 2014-2017 fut marquée par des mortalités massives de coraux dans les différents bassins océaniques, avec le déclin exceptionnel de plus de 50 % des récifs sur la Grande Barrière de corail – la plus grande structure corallienne existante. Le degré de résilience des coraux se voit compromis avec un taux de recrutement de larves coralliennes faible et le stress subi est accentué par d’autres facteurs d’origine anthropique (pollution, surpêche, urbanisation, tourisme, acidification des océans, prédation par des organismes corallivores, etc.). Alors que l’année 2018 fut la plus chaude pour les océans, et cela depuis le début des enregistrements, le phénomène de blanchissement pourrait devenir un phénomène récurrent dans les années à venir. Afin de protéger ce patrimoine naturel, abritant plus d’un tiers de la biodiversité marine mondiale et dont dépendent directement pour leur subsistance plus de 500 millions de personnes à travers le monde, il apparaît nécessaire et urgent, au-delà des actions locales, de prendre des décisions à l’échelle des gouvernements afin de diminuer l’impact de l’homme sur le climat.
Malgré leur importance écologique et économique, les récifs coralliens sont affectés par de nombreux facteurs de stress aussi bien à une échelle locale (surexploitation des ressources marines, techniques de pêche destructrices, pression touristique, pollutions marines, développement côtier, prédation par des organismes corallivores) que par des facteurs de stress globaux (hausse de la température de surface des océans, phénomènes météorologiques extrêmes, acidification du milieu marin). Ces perturbations d’origines naturelles et anthropiques menacent actuellement la plupart des écosystèmes récifaux à travers le monde. À terme, ces facteurs de stress peuvent mener à la rupture de l’association formée entre l’hôte corallien et ses symbiotes photosynthétiques, un phénomène que l’on nomme « blanchissement » (coral bleaching en anglais) qui s’apparente, comme le nom l’indique, à une décoloration du corail (perte des symbiotes et/ou des pigments photosynthétiques associés) s’échelonnant sur une période de temps plus ou moins longue. Une diminution modérée de la concentration en symbiotes et/ou en photopigments associés résulte toutefois d’un phénomène saisonnier et naturel, survenant dès que la température de surface de l’eau de mer excède les moyennes maximales saisonnières et ceci sur une courte période de temps qui varie selon les sites observés. Cependant, depuis les années 1980, la température moyenne des océans augmente à une allure anormale, renforçant la durée, l’intensité et l’étendue du blanchissement corallien. Suite à la perte de leurs symbiotes photosynthétiques, qui constituent leur principale source de nourriture, les coraux se retrouvent « physiologiquement » affaiblis. Dans le cas d’un épisode de blanchissement prolongé, le corail succombe au stress nutritionnel, engendrant des événements de mortalités massives dans les écosystèmes récifaux du monde entier, du Pacifique à l’océan Indien, en passant par les Caraïbes et la mer Rouge.
Le changement climatique modifie la productivité des écosystèmes marins et a un impact sur la pêche, alors que la demande de poisson destinée à la consommation humaine augmente, que le poisson est la principale source de protéines animales pour un milliard de personnes et qu’il s’agit de l’une des ressources renouvelables les plus échangées au monde. Les changements des caractéristiques physico-chimiques de l’eau de mer ont un impact sur le métabolisme des individus, sur les cycles de vie des espèces, sur les relations entre les proies et les prédateurs et sur les modifications des habitats. Les répartitions géographiques des poissons (vitesse de déplacement en direction des pôles de 72,0 ± 13,5 km par décennie) ainsi que la dynamique des écosystèmes pourraient subir de profondes perturbations dans les décennies à venir, affectant ainsi les pêcheries au niveau mondial et compromettant la sécurité alimentaire dans nombre de pays du sud. Le maintien des écosystèmes marins en bonne santé et productifs est un enjeu crucial.
Le débat sur les mesures d’atténuation et d’adaptation à prendre face aux changements climatiques s’appuie sur des observations et des projections portant sur une fenêtre de moins de 250 ans. Une étude récente de Clark et de ses collaborateurs, publiée dans Nature Climate Change, s’intéresse aux conséquences climatiques sur de très longues durées (plus de 10000 ans1). Leur ampleur est liée aux émissions de CO2. Selon les scénarios, la hausse de température pourrait s’élever bien audelà des 2 °C et on pourrait s’attendre à une hausse du niveau global de la mer de 2 à 4 mètres par siècles durant le prochain millénaire. Ces résultats confirment l’importance de laisser inutilisée une grande quantité de ressources fossiles.
Les écosystèmes marins et terrestres offrent de nombreux bénéfices à la société. Ils subissent cependant des pressions accrues en raison du changement climatique et de l’augmentation de la population humaine, de ses besoins et de leurs répercussions. Ces pressions accrues rendent dans la plupart des cas les pratiques de gestion et les politiques publiques actuelles inadéquates, celles-ci ne parvenant alors plus à atténuer ou réguler de telles pressions et à maintenir le niveau de bénéfices fournis par les écosystèmes. Des approches intégrées centrées sur les écosystèmes peuvent aider à identifier les bénéfices divers fournis par ces écosystèmes, les synergies ou les conflits. Cette identification dépend du niveau d’utilisation ou de conservation des écosystèmes. L’approche par les services écosystémiques peut aider à structurer la production d’évaluations exhaustives s’appuyant sur des connaissances scientifiques et les expériences des gestionnaires. Un processus itératif de « triage » peut être utilisé pour structurer l’interaction et le dialogue entre les acteurs et les scientifiques afin d’établir des études qui soient faisables, utiles et pertinentes en lien avec les questions, les besoins et les projets des gestionnaires et décideurs publics. L’approche par les services écosystémiques permet d’établir une photographie à un temps donné des écosystèmes et activités humaines qui en dépendent. Elle doit être appliquée à intervalles réguliers afin de pouvoir appréhender l’évolution des différents bénéfices fournis par les écosystèmes. L’approche par les services écosystémiques peut être combinée avec le cadre DPSIR (facteurs, pressions, états, impacts, réponses) afin de permettre une identification des facteurs de changement dans les écosystèmes. La combinaison de ces deux approches peut venir enrichir les discussions visant à l’établissement de plans de gestion et de politiques publiques pour la conservation du milieu marin, notamment lorsque ces écosystèmes sont soumis à des pressions liées au changement climatique, et maintenir des écosystèmes productifs et en bonne santé, contribuant au bien-être humain.