Les caractéristiques physiques des petites îles (surface émergée limitée, plaines réduites, forte exposition aux aléas météorologiques et marins) et humaines (forte dépendance vis-à-vis des activités de subsistance et des écosystèmes) expliquent leur vulnérabilité aux changements environnementaux. Elles sont devenues des figures emblématiques des processus associés au changement climatique : élévation du niveau de la mer, intensification des cyclones, réchauffement des eaux océaniques, et acidification de l’océan. De grandes menaces pèsent donc sur les systèmes insulaires, bien que ceux-ci y répondront de manière très diversifiée: réduction de la surface des îles, recul du trait de côte, dégradation des récifs coralliens et des mangroves, etc. Les répercussions sur les ressources terrestres (sols, eau, faune et flore) et marines (ressources récifales et halieutiques) auront des impacts majeurs sur les moyens de survie des sociétés insulaires. Celles-ci vont donc devoir relever un défi considérable.
Les modifications qui touchent l’océan et la cryosphère ont un rôle clé pour le climat planétaire. Avec le réchauffement, leur rôle de régulation du climat et les services écosystémiques qu’ils fournissent sont menacés. Les impacts de ces changements sur les écosystèmes et les sociétés humaines sont désormais évidents. Ils menacent la sécurité des populations les plus exposées (habitants des côtes, des petites îles, des montagnes et des zones polaires) et ont des impacts économiques, sociaux et culturels sur toutes les communautés humaines, y compris celles qui vivent loin de ces zones. Pour les populations les plus vulnérables, la migration environnementale peut être une réponse. L’anticipation et l’adaptation à ces changements permettraient de réduire les perturbations sur les milieux naturels et sur les communautés qui en dépendent.
Après presque 3000 ans pendant lesquels le niveau des océans est resté stable, les observations par satellites montrent que la vitesse d’élévation du niveau de la mer a presque doublé et atteint aujourd’hui 3,5 mm/an en moyenne. C’est la redistribution de chaleur dans le système climatique qui engendre la dilatation thermique de l’océan, la fonte des glaciers continentaux et la perte de masse des calottes glaciaires, chacun contribuant environ à part égale. Si ces processus s’accentuent, certaines estimations n’excluent pas une élévation de 60 cm à 1 mètre à l’horizon 2100. Loin d’être uniforme sur la planète, ce processus se conjugue avec d’autres facteurs non climatiques comme l’enfoncement des sols ou la diminution d’apports de sédiments par les fleuves… Pour de nombreuses régions, les impacts de cette élévation du niveau de la mer sont incertains et l’utilisation de modèles d’évolutions en réponse à des forçages climatiques est un outil important d’aide à la décision pour l’aménagement des territoires.
Le débat sur les mesures d’atténuation et d’adaptation à prendre face aux changements climatiques s’appuie sur des observations et des projections portant sur une fenêtre de moins de 250 ans. Une étude récente de Clark et de ses collaborateurs, publiée dans Nature Climate Change, s’intéresse aux conséquences climatiques sur de très longues durées (plus de 10000 ans1). Leur ampleur est liée aux émissions de CO2. Selon les scénarios, la hausse de température pourrait s’élever bien audelà des 2 °C et on pourrait s’attendre à une hausse du niveau global de la mer de 2 à 4 mètres par siècles durant le prochain millénaire. Ces résultats confirment l’importance de laisser inutilisée une grande quantité de ressources fossiles.
Les mesures des marégraphes, puis des satellites ont démontré que la mer est montée globalement à une vitesse moyenne de l’ordre de 1,7 mm par an depuis le début du xxe siècle, une conséquence directe du réchauffement climatique d’origine anthropique, bien que l’on constate une forte variabilité régionale. Cette hausse est principalement liée à deux phénomènes : l’augmentation de la température des océans d’où une dilatation de l’eau de mer et la fonte des glaces continentales, glaciers et calottes polaires avec un apport d’eau douce à l’océan. Dans le futur, malgré les incertitudes, les scénarios indiquent une poursuite de la montée du niveau de la mer à un rythme plus rapide qu’au xxe siècle pour atteindre entre plus 25 cm (cas le plus favorable) et plus 82 cm (cas le mois favorable) en 2100.
Depuis les années 1990, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) utilise des études de vulnérabilité au niveau mondial en vue d’aider à établir des priorités d’investissement et d’action de lutte contre les effets des changements climatiques. Au-delà du GIEC, cette pratique a été largement utilisée pour étudier la vulnérabilité des zones côtières en lien avec divers risques dont ceux associés aux changements climatiques. Ces études au niveau mondial ont été effectuées en lien avec des objectifs très différents, avec des définitions et modèles de vulnérabilité très variés et sont au fil du temps devenues de plus en plus complexes et gourmandes en données, avec un nombre sans cesse croissant d’indicateurs. La diversité des objectifs, conceptualisations et données utilisées a conduit à l’établissement de classements différents et souvent contradictoires de zones prioritaires pour l’action contre les changements climatiques. La complexité de ces études rend difficile l’identification des sources de différences entre ces classements. Il est en particulier difficile d’identifier à quel point ces classements de vulnérabilité sont liés aux changements climatiques par rapport à d’autres facteurs tels que le développement humain ou la capacité d’adaptation des populations aux changements de l’environnement. Si les facteurs derrière ces classements globaux se voulant exhaustifs étaient plus faciles à isoler, les décideurs des actions de régulation du climat pourraient utiliser ces études au niveau mondial comme des études de cadrage et non comme sources de priorités d’investissement climatique définies au niveau mondial. Ces études de cadrage au niveau mondial, afin d’informer utilement les actions de régulation du climat, doivent être simplifiées et harmonisées afin de pouvoir isoler de manière spécifique les moteurs des changements. Ces études de cadrage peuvent aider à cibler les endroits où des études plus fines et complètes au niveau local pourraient être menées afin d’informer de manière pertinente les actions de régulation climatique. Ces études de cadrage devraient être complétées par des études au niveau mondial des coûts des actions de régulation climatique basées sur l’intégration de facteurs techniques, sociaux et économiques.
Les mythologies de l’archipel de Kiribati nous apprennent que le monde tire ses origines de l’ouverture d’une roche suivie du mélange d’une matière sèche avec une matière humide, puis de l’effervescence créatrice d’une foule d’ancêtres. La réalité scientifique occidentale nous apprend que, dans moins de 300 ans, ces atolls de Micronésie orientale disparaîtront sous l’effet de la montée des eaux entraînée par le réchauffement climatique. Quant au terrain ethnographique, il nous apprend que la force de cette société océanienne, installée depuis plus de mille ans au cœur du Pacifique, consiste à renvoyer à son intelligence philosophique l’interprétation du réel climatique contemporain. Le changement climatique révèle cette réalité du duel entre, d’un côté, la survie d’un supposé progrès moderne qui continue de mettre en danger la planète et, de l’autre, la survie de modes de vivre et de se penser Homme dans une nature respectée. Ces deux enjeux seront mis sur la table des négociations lors de la prochaine Conférence sur le Climat de Paris. Est-ce si utopique d’attendre des Parties qu’elles décident de sacrifier à la Nature ?