Le rideau est tombé sur la COP29 ce dimanche 24 novembre, après deux intenses et difficiles semaines de négociations. Accueillie par l’Azerbaïdjan, la Conférence a été marquée par de fortes divisions et tensions entre les pays développés et les pays en voie de développement. Chargés d’adopter un Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NCQG en anglais) pour le financement climatique pour soutenir les efforts climatiques des pays en développement, les délégués se sont mis d’accord sur la mobilisation, d’ici 2035, d’au moins $300 milliards par an des pays développés, et d’au moins 1,3 billion par an de la part de tous les acteurs financiers. Bien que cet accord constitue un pas en avant, il reste encore largement insuffisant pour répondre aux besoins des pays en voie de développement confrontés aux impacts du changement climatique de plus en plus importants. Par ailleurs, des questions demeurent sur la manière dont l’océan, notre meilleur allié dans la lutte contre le changement climatique, bénéficiera de cette augmentation du financement climatique. Concentrées sur les enjeux politiques, les négociations ont offert peu d’opportunités pour faire avancer le nexus océan-climat ou intégrer des mentions spécifiques à l’océan dans les décisions. Cependant, la communauté océan est restée active pour assurer sa visibilité.
Naviguer à travers les tensions et défis politiques
La COP29 a été marquée par des tensions politiques et des défis croissants pour la coopération internationale L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis quelques jours avant la COP29, a jeté une ombre sur la conférence, sa campagne électorale ayant été marquée par des promesses de démanteler les politiques climatiques et de retirer les États-Unis, historiquement premier pays émetteur au monde, de l’Accord de Paris. La situation s’est aggravée avec la décision du président argentin, issu de la droite, de retirer la délégation de son pays de la conférence, suscitant des inquiétudes quant à un potentiel retrait de l’Argentine de l’Accord. Cette fragilisation du multilatéralisme a donné le ton à la COP29. En réponse, plusieurs pays ont réaffirmé leur engagement en faveur du multilatéralisme ; un appel également réitéré dans la Déclaration des dirigeants du G20 publiée pendant la conférence.
Dans le contexte alarmant de records de températures mondiales, la désinformation climatique a également pesé lourdement sur cette COP. Des comptes sur X/Twitter ont été créés en amont de la conférence pour améliorer l’image de l’Azerbaïdjan et influencer les débats. Dans ce contexte, plus de 90 organisations ont lancé une lettre ouverte invitant les gouvernements du monde entier à agir immédiatement et de manière décisive pour faire face à cette crise. Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a lui-même souligné l’urgence de combattre les « campagnes de désinformation coordonnées qui entravent les progrès mondiaux sur le changement climatique ». Cette problématique a également été abordée lors du Sommet du G20 à Rio de Janeiro, où le Brésil, aux côtés de l’ONU et de l’UNESCO, a lancé la “Global Initiative for Information Integrity on Climate Change”, le premier effort multilatéral visant à relever ce défi.
Au-delà des campagnes de désinformation, la présidence de l’Azerbaïdjan a fait l’objet de vives critiques pour son manque de leadership en matière d’action climatique. La tension était déjà palpable début novembre, après la diffusion d’images montrant le PDG de la COP29, Elnur Soltanov, tentant de tirer parti de sa position pour négocier des accords futurs sur le pétrole et le gaz. Le Président Ilham Aliyev a ensuite qualifié les combustibles fossiles de « cadeau de Dieu » alors qu’il s’adressait aux délégués de la Conférence, suscitant des doutes sur l’engagement du pays dans la lutte contre le changement climatique. En outre, les Etats-Parties ont dénoncé l’absence de consultation et de transparence de la présidence de la COP, menant des groupes tels que les Pays les Moins Avancés (PMA) et l’Alliance des Petits États Insulaires (AOSIS) à quitter la salle des négociations en signe de protestation samedi dernier. Certains pays, comme le Nigeria et l’Inde, ont même accusé la présidence d’avoir imposé l’accord sur le Nouvel Objectif Collectif Quantifié sans leur consentement, au point de le rejeter.
Divisions et progrès limité : la lutte pour un nouvel objectif pour le financement climatique
Le financement demeure l’un des sujets les plus clivants dans les politiques climatiques internationales, comme cela a été évident lors de la COP15 (2009) à Copenhague. À l’époque, les Etats-Parties avaient peiné à convenir du premier objectif de financement climatique visant à mobiliser 100 milliards de dollars par an des pays développés vers les pays en voie de développement d’ici 2020.
À l’instar de Copenhague, Bakou restera probablement dans les mémoires pour les profondes divisions et frustrations qui ont marqué les négociations. Cette fois, les Etats-Parties devaient réviser l’objectif des 100 milliards de dollars par an, atteint une seule fois en 2022, soit deux ans après l’échéance prévue. Lors de la COP29, les négociations sur le Nouvel Objectif Quantifié Collectif (NCQG) se sont articulées autour de trois grandes questions : quel sera le montant ? Qui contribuera ? Et qui sera éligible ? Les discussions ont révélé un profond fossé entre d’un côté, les pays en voie de développement et de l’autre, les pays développés. Les pays en voie de développement ont milité pour atteindre un objectif annuel de 1,3 billion de dollars, appuyés par les recommandations du Groupe d’Experts Indépendants sur le Financement Climatique (IHLEG). Les pays développés ont quant à eux proposé un montant plus modeste de 200 à 300 milliards de dollars, insistant sur la diversification des sources de financement et la révision de la liste des contributeurs. Cette position a été perçue comme une tentative d’alléger leur charge financière et comme un manquement à leur obligation historique de soutenir les pays en développement face au changement climatique.
Finalement, les Etats-Parties ont réussi à convenir d’un objectif de 300 milliards USD par an d’ici 2035, triplant ainsi la cible précédente. Bien que les pays développés soient toujours tenus d’en être à l’initiative, les pays en voie de développement sont, pour la première fois, encouragés à contribuer volontairement. Cela pourrait ainsi inclure des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite qui financent déjà des actions climatiques dans d’autres pays en développement mais dont les contributions ne sont pas officiellement comptabilisées dans le cadre du NCQG. En outre, le texte appelle « tous les acteurs » à intensifier les financements issus de « toutes les sources publiques et privées » pour atteindre l’objectif d’au moins 1,3 billion de dollars d’ici 2035. Cet accord a suscité de vives critiques, notamment de la part des pays en voie de développement, qui ont jugé ce résultat insuffisant pour répondre à leurs besoins, rappelant que, derrière ces chiffres, des milliards de vies sont en jeu. Cependant, bien qu’en deçà des attentes, cet accord marque une avancée positive en reconnaissant pour la première fois la nécessité de mobiliser 1,3 billion de dollars. Lors de la plénière de clôture, Simon Stiell, Secrétaire exécutif de la CCNUCC, a souligné que ce nouvel objectif jette les bases de futurs efforts plus ambitieux, tout en insistant sur l’importance cruciale que ces promesses soient honorées.
Si les Etats-Parties ont répondu aux questions politiques majeures, le processus n’a pas consacré de temps significatif au financement climatique lié à l’océan ou à la nature. Bien que cela soit davantage lié au niveau des discussions qu’à un manque de priorité, il est essentiel de garantir que ces secteurs reçoivent une part équitable du financement accru. Pour y parvenir, les pays doivent intégrer des mesures et des objectifs liés à l’océan dans leurs stratégies climatiques nationales, en signalant clairement leurs besoins et priorités pour orienter efficacement les financements climatiques.
Recul majeur sur la transition énergétique, mais quelques progrès en matière d’atténuation et d’adaptation
En parallèle des négociations sur le financement, les Etats-Parties étaient appelées à traduire les conclusions du Bilan Mondial en actions concrètes, prolongeant l’héritage de la COP28. Cependant, l’Accord de Paris ne précise pas comment ces conclusions doivent être mises en œuvre, ni comment elles doivent éclairer la prochaine révision des Contributions Déterminées au Niveau National (CDN), laissant à la COP29 le soin de clarifier ces questions. Les négociations ont été plus difficiles que prévu, freinées par un manque évident de volonté politique, en particulier sur la transition énergétique et la sortie des combustibles fossiles. Plusieurs Etats, notamment des membres du Groupe Arabe comme l’Arabie saoudite, ont tenté de revenir sur cet engagement. Finalement, les négociations se sont soldées par une impasse et la décision a été reportée aux prochaines réunions climatiques, représentant un recul significatif dans les efforts de transition énergétique.
Ces désaccords ont également affecté le Programme de travail sur l’atténuation (“Work Mitigation Programme” en anglais), établi lors de la COP26 pour « accroître d’urgence l’ambition et la mise en œuvre de l’atténuation dans cette décennie cruciale ». Malgré des progrès lors des deux dialogues techniques tenus plus tôt dans l’année, les grandes questions politiques sont restées non résolues. Le principal point de divergence concernait la question de savoir si le programme devait inclure la transition hors des combustibles fossiles ou si cela dépassait son mandat. Après de vifs débats, un texte édulcoré a finalement été adopté, omettant toute référence au résultat du Bilan Mondial ou à l’objectif de 1,5 °C. Ce signal politique faible est particulièrement préoccupant, considérant que l’absence d’ambition rehaussée dans les prochaines CDN mettrait le monde sur une trajectoire de réchauffement de 2,6 à 3,1 °C d’ici la fin du siècle. Cependant, quelques avancées notables ont été réalisées, notamment l’adoption du cadre final pour l’opérationnalisation des marchés du carbone dans le cadre de l’Article 6 de l’Accord de Paris.
Bien qu’éclipsée par des sujets plus conflictuels, des progrès ont été réalisés en matière d’adaptation, avec le lancement de la feuille de route pour l’adaptation de Bakou et l’établissement du Dialogue de haut niveau sur l’adaptation de Bakou. Les Etats-Parties se sont également accordés sur des aspects techniques clés nécessaires pour rendre opérationnel l’Objectif Global sur l’Adaptation, avec un accent particulier sur les indicateurs. Par ailleurs, des démarches ont été entreprises pour rendre opérationnel le Fonds pour répondre aux pertes et dommages, qui pourra commencer à financer des projets dès 2025. Au 24 novembre, des promesses de contributions au Fond à hauteur d’un peu plus de 730 millions de dollars ont été faites, bien que seules la Suède, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en aient annoncé de nouvelles lors de la COP29.
Une forte mobilisation pour maintenir le momentum en faveur de l’océan
Bien que l’océan n’ait pas été une priorité lors de la COP29, avec une présidence très peu intéressée par les questions liées à la nature, la communauté océan est restée mobilisée pour maintenir sa visibilité. Avant la conférence, la Plateforme Océan & Climat et plusieurs partenaires ont dévoilé un policy brief intitulé « Unpacking Ocean Finance for Climate Action », dont les conclusions ont été présentées lors d’un événement dédié, mettant en lumière des opportunités pour débloquer des financements pour les solutions climatiques fondées sur l’océan. Plus de 70 événements ont été organisés au Ocean Pavilion tout au long des deux semaines. Cette mobilisation s’est poursuivie jusqu’aux derniers jours de la COP29, lorsque des gouvernements, des ONG, des acteurs du secteur privé ainsi que des représentants des peuples autochtones et des communautés locales se sont réunis pour célébrer la Journée de l’Océan et des Zones Côtières, le 21 novembre, lors de l’événement Ocean Action de la Partenariat de Marrakech. Cet événement était axé sur les Ocean Breakthroughs et a été notamment marqué par le lancement du Coastal Tourism Breakthrough, qui vise à mobiliser au moins 30 milliards de dollars par an pour soutenir une transition du secteur vers la neutralité carbone et qui soit positive pour la nature et équitable. Il a également mis en lumière les progrès réalisés dans d’autres secteurs tels que la conservation marine, l’énergie éolienne offshore, le transport maritime et les produits alimentaires aquatiques.
En s’appuyant sur les conclusions du rapport 2024 sur le Dialogue Océan et Climat, présenté à la COP29, la communauté océan a soutenu les pays dans l’intégration de mesures océaniques dans leurs stratégies climatiques nationales, attendues pour février 2025. Des outils pratiques ont été développés, tels qu’un guide pour intégrer des mesures responsables liées à l’éolien en mer et un autre sur les aliments aquatiques, ainsi que des initiatives telles que la Mangrove Breakthrough NDC Taskforce. Dans ce contexte, la nécessité de renforcer les synergies entre les régimes climatiques et de biodiversité a également gagné en importance. Ce message a été porté au plus haut niveau avec le lancement de la “Rio Trio Initiative”, une collaboration sans précédent alignant les travaux des présidences des COP sur le climat (Azerbaïdjan), la biodiversité (Colombie) et la désertification (Arabie saoudite). Les synergies ont également été au cœur de divers événements de la COP29, dont un dédié au policy brief « Blue Thread : Aligning National Climate and Biodiversity Strategies ».
Malgré des opportunités limitées pour faire progresser le nexus océan-climat au sein des négociations et intégrer un langage spécifique à l’océan dans les décisions de la Conférence, les Etats-Parties ont exprimé un vif intérêt pour l’avancement de l’action climatique fondée sur l’océan. Lors du dernier jour de la conférence, les membres du groupe Friends of Ocean and Climate ont réaffirmé leur « engagement indéfectible à promouvoir le nexus océan-climat lors des conférences des Nations Unies sur le changement climatique et à recourir à des actions d’atténuation et d’adaptation durables basées sur l’océan ». Davantage de travail est nécessaire pour intégrer pleinement l’océan et ses solutions dans les discussions futures, notamment en ce qui concerne le financement climatique, la révision des CDN (Contributions Déterminées au Niveau National), les Plans Nationaux d’Adaptation ou encore la sélection d’indicateurs pertinents liés à l’océan dans le cadre de l’Objectif Global sur l’Adaptation. Le Brésil, qui a montré un intérêt marqué pour les questions liées à l’océan lors de la COP29 et inclus des mesures basées sur l’océan dans ses CDN révisées, jouera un rôle crucial en tant que présidence de la COP30 pour garantir une pleine considération de ces enjeux.
Bien que le NCQG soit insuffisant pour répondre aux besoins des pays en développement, il constitue une première étape dans la bonne direction. La “feuille de route de Bakou à Bélem vers 1,3T” contribuera à créer une dynamique politique sur le chemin de la COP30 à Bélem, au Brésil. Un leadership fort de la présidence brésilienne sera nécessaire pour impulser des stratégies nationales ambitieuses, en ligne avec les conclusions du Bilan Mondial, et pour soutenir la réalisation de ce nouvel objectif de financement. La présidence a déjà exprimé son intention de faire de la COP30 une « COP de la Nature », mettant l’accent sur les synergies entre les Conventions sur le Climat et la Biodiversité. Dans ce contexte, l’intérêt croissant du Brésil pour les questions liées à l’océan envoie un signal fort pour garantir que la nature, lors de la COP30, soit également bleue. La prochaine Conférence des Nations Unies sur l’Océan (9-13 juin 2025, Nice) peut devenir une étape clé pour tisser un fil bleu entre la COP29 et la COP30. Le Président de la France, co-hôte de l’UNOC3, et le Président du Brésil se sont récemment engagés, dans une déclaration commune, à faire de la protection de l’océan et de ses écosystèmes une priorité stratégique de leurs engagements internationaux en matière de climat et de biodiversité. Cette déclaration apporte l’espoir que la COP30, célébrant le 10ème anniversaire de l’Accord de Paris, puisse être un tournant décisif pour l’action en faveur de l’océan.