Pendant longtemps, les discussions sur le changement climatique n’ont pas pris l’océan en compte. Les textes que vous allez lire montrent que les choses changent et que cet environnement planétaire trouve enfin sa place légitime dans les enjeux climatiques. Quel rôle l’océan joue-t-il dans le climat et quels sont les impacts du changement climatique sur l’océan ?
Pour répondre à cette question, la Plateforme Océan et Climat publiait en 2016 de nouvelles fiches scientifiques à retrouver ci-dessous.
Par Benoît Meyssignac
Après presque 3000 ans pendant lesquels le niveau des océans est resté stable, les observations par satellites montrent que la vitesse d’élévation du niveau de la mer a presque doublé et atteint aujourd’hui 3,5 mm/an en moyenne. C’est la redistribution de chaleur dans le système climatique qui engendre la dilatation thermique de l’océan, la fonte des glaciers continentaux et la perte de masse des calottes glaciaires, chacun contribuant environ à part égale. Si ces processus s’accentuent, certaines estimations n’excluent pas une élévation de 60 cm à 1 mètre à l’horizon 2100. Loin d’être uniforme sur la planète, ce processus se conjugue avec d’autres facteurs non climatiques comme l’enfoncement des sols ou la diminution d’apports de sédiments par les fleuves… Pour de nombreuses régions, les impacts de cette élévation du niveau de la mer sont incertains et l’utilisation de modèles d’évolutions en réponse à des forçages climatiques est un outil important d’aide à la décision pour l’aménagement des territoires.
Par Xavier Capet
Le débat sur les mesures d’atténuation et d’adaptation à prendre face aux changements climatiques s’appuie sur des observations et des projections portant sur une fenêtre de moins de 250 ans. Une étude récente de Clark et de ses collaborateurs, publiée dans Nature Climate Change, s’intéresse aux conséquences climatiques sur de très longues durées (plus de 10 000 ans). Leur ampleur est liée aux émissions de CO2. Selon les scénarios, la hausse de température pourrait s’élever bien au-delà des 2 °C et on pourrait s’attendre à une hausse du niveau global de la mer de 2 à 4 mètres par siècles durant le prochain millénaire. Ces résultats confirment l’importance de laisser inutilisée une grande quantité de ressources fossiles.
Par Bertrand Delorme et Yassir Eddebbar
La circulation océanique joue un rôle central dans la régulation du climat et la préservation de la vie marine, en transportant chaleur, carbone, oxygène, et nutriments à travers les différents bassins du globe. Elle limite considérablement l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en séquestrant le carbone et la chaleur dans l’océan profond, modulant ainsi la trajectoire du changement climatique. Mais le réchauffement anthropique agit aussi directement sur la circulation océanique en modifiant les caractéristiques physiques qui la gouvernent. Cependant, ces interactions sont encore mal comprises et il est aujourd’hui essentiel d’améliorer les systèmes d’observations de l’océan, ainsi que notre compréhension des processus actifs, afin d’obtenir des modèles numériques fiables pour prédire le climat du XXIe siècle.
Par Kirsten Isensee, Lisa A. Levin, Denise Breitburg, Marilaure Gregoire, Véronique Garçon et Luis Valdés
La diminution du contenu en oxygène (désoxygénation) des eaux marines et côtières s’est aggravée ces dernières décennies dans différentes régions de l’océan mondial. Les causes principales sont d’une part le changement climatique (les eaux plus chaudes contiennent moins d’oxygène et l’augmentation de la stratification en surface réduit la ventilation et donc l’oxygénation de l’intérieur des océans et des estuaires) et d’autre part l’eutrophisation (enrichissement des eaux en nutriments) des zones côtières, due à l’intensification des activités humaines. La désoxygénation en océan ouvert, le réchauffement et l’acidification – tous liés à l’augmentation de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère – constituent ainsi des stress multiples sur l’écosystème océanique et une menace globale dont les conséquences socio-économiques commencent juste à être reconnues.
Par Gilles Bœuf
L’environnement marin a joué un rôle déterminant dans l’histoire de la vie et l’océan actuel garde son rôle primordial dans cette évolution, ainsi que dans celle du climat. La diversité spécifique reconnue dans les océans ne dépasse pas 13 % de l’ensemble des espèces vivantes actuellement décrites, soit moins de 250 000. Cela peut-être dû d’une part à un manque de connaissances, surtout pour les zones profondes et pour les micro-organismes, d’autre part au fait que les écosystèmes marins et le mode de vie dans un milieu continu dispersent plus facilement les espèces et prédisposent moins à l’endémisme. Par contre, les biomasses marines peuvent être considérables. Le dérèglement climatique joue un rôle direct sur les pertes de diversité biologique, et celles-ci contribuent aussi en retour au dérèglement lui-même.
Par Denis Allemand
Les récifs coralliens recouvrent une faible surface des océans, entre 0,08 et 0,16 %, mais abritent environ un tiers de toutes les espèces marines connues à ce jour. Ce succès écologique est dû à une symbiose entre le corail et des micro-algues intracellulaires communément appelées zooxanthelles. Organismes ingénieurs, ils sont à l’origine des plus vastes bioconstructions de notre planète. Véritables oasis de vie, ils assurent la subsistance directe à plus de 500 millions de personnes dans le monde grâce à la pêche, mais leur intérêt pour l’homme va bien au-delà: protection des côtes contre l’érosion, zones de haute valeur touristique… Les services écologiques issus des récifs coralliens sont estimés à environ 27 milliards d’euros par an. Leur croissance est dépendante de nombreux facteurs (lumière, température, pH, nutriments, turbidité́…). Ils sont donc extrêmement sensibles aux changements actuels de notre environnement: réchauffement des eaux, acidification des océans, qui s’ajoutent aux perturbations locales (pollution, sédimentation, aménagement des côtes, surpêche, trafic maritime…). Ainsi, une élévation de moins d’un degré́ Celsius au-delà d’une valeur seuil suffit à provoquer le blanchissement, c’est-à-dire la rupture de la symbiose corail – zooxanthelles, de vastes populations coralliennes, pouvant conduire à la disparition du récif. De même l’acidification des océans perturbe la formation du squelette corallien ainsi que de nombreuses autres fonctions biologiques comme la reproduction. On estime actuellement qu’environ 20 % des récifs ont définitivement disparu, que 25 % sont en grand danger et que 25 % supplémentaires seront menacés d’ici à 2050 si aucune action de gestion n’est menée.
Par Leïla Ezzat et Lucile Courtial
Depuis une trentaine d’années, la température moyenne des océans ne cesse d’augmenter, ce qui renforce l’intensité, la durée et l’extension du phénomène de blanchissement des coraux. En 2014-2016, suite à une hausse anormale de la température de l’eau de mer accentuée par un épisode El Nino très marqué, on constate un événement de blanchissement d’une intensité et d’une ampleur exceptionnelles qui pourrait s’étendre bien au-delà de l’année 2017. Les modèles climatiques prévoient une hausse de la température de surface des océans de 1 à 3°C d’ici la fin du XXIe siècle, menaçant la survie des récifs du monde entier d’ici 2050. Le degré de résilience des récifs reste faible, voire ponctuel et le stress qu’ils subissent est accentué par d’autres facteurs d’origine anthropique (acidification, hausse du niveau des mers, surexploitation, pollutions…). Pour protéger ce patrimoine naturel dont dépendent plus de 500 millions de personnes dans le monde, il apparaît nécessaire, au-delà des actions locales, de prendre des décisions à l’échelle des gouvernements afin de diminuer l’impact des humains sur le climat.
Par Lisa A. Levin, Nadine Le Bris, Erick Cordes, Yassir Eddebbar, Rachel Jeffreys, Kirk Sato, Chih-Lin Wei et le groupe de travail sur le changement climatique de DOSI Deep-Ocean Stewardship Initiative
Avec 95 % de son volume habitable, l’océan profond a un rôle important dans l’équilibre climatique, et sa mise sous pression dans les années à venir doit attirer notre attention. Entre stockage et redistribution de la chaleur et du carbone émis dans l’atmosphère par les activités anthropiques, il assure divers services écosystémiques utiles à l’homme. Ces services jouent un rôle dans la séquestration du CO2 et du CH4 à plus long terme, ainsi que dans le cycle des nutriments sur lequel repose toutes les chaînes alimentaires, et donc certaines activités économiques comme les pêcheries. L’absorption de chaleur et sa redistribution impacte la distribution des espèces exploitées par l’homme. Absorbant déjà de nombreux polluants et déchets, l’océan profond va devenir le théâtre de nouvelles activités comme l’extraction minière. Mettre en place les mesures clés de l’adaptation au changement climatique demandera l’acquisition de nouvelles connaissances, ainsi qu’un cadre législatif abouti et des outils de gestion performants.
Par Jennifer T. Le et Kirk N. Sato
Le concept de services écosystémiques (SE) intègre les fonctions écologiques et les valeurs économiques des écosystèmes qui contribuent au bien-être humain. Cette approche déjà utilisée pour la gestion des eaux côtières, l’est encore peu pour l’océan profond, alors qu’il représente 97 % du volume des océans. Les SE de l’océan profond englobent des services d’approvisionnement comme les pêcheries ou des agents industriels, des services de régulation comme le stockage du carbone, et des services culturels tels que l’inspiration artistique. Mais la pression sur l’océan profond s’accroît sous forme d’activités anthropiques directes et indirectes qui s’y développent. Cette synergie des impacts est largement inconnue et le vide juridique de certaines parties de l’océan demande la plus grande précaution.
Par Clara Grillet, Claire Bertin, Jennifer T. Le et Adrien Comte
Le concept de services écosystémiques (SE) désigne les nombreux bénéfices que retirent les sociétés humaines d’écosystèmes en bonne santé. Cette notion a des implications théoriques et pratiques car elle pense la science en termes économiques afin de sensibiliser la population à la valeur des écosystèmes, le but étant d’utiliser les SE pour fonder une gestion environnementale efficiente économiquement et durablement. Les SE sont particulièrement utiles pour comprendre les écosystèmes marins et côtiers, qui sont traditionnellement peu soumis à des régulations sur les problématiques de la protection de l’environnement et de la planification spatiale. De plus, le concept de services écosystémiques souligne le rôle crucial de l’océan en tant que régulateur climatique et combien il est indispensable pour mettre en œuvre des projets d’atténuation et d’adaptation aux défis posés par les changements climatiques. La mise en œuvre de la gestion intégrée, qui prend en compte les SE, existe déjà à l’échelle régionale au sein de l’Union européenne. La prochaine étape nécessite donc d’étendre l’approche SE à d’autres régions, comme la Méditerranée, afin d’assurer la résilience des écosystèmes et d’empêcher la dégradation des services qu’ils fournissent.
Par Christophe Lefebvre
Un océan en bonne santé permettra une meilleure résistance des écosystèmes au changement climatique, et donc un renforcement des services écosystémiques indispensables à la viabilité de la planète. Mais face à une pression de plus en plus importante sur un océan qui doit par ailleurs intégrer le développement de nouvelles activités anthropiques, les enjeux politiques doivent associer la réduction des émissions de CO2 et les enjeux de protection de la biodiversité. Sur les quelques 10 000 aires marines protégées existantes au niveau mondial, nombreuses le sont seulement sur le papier. Vingt pays maritimes comptent à eux seuls 80 % de la surface de l’ensemble des aires marines protégées. Une des principales difficultés dans le fonctionnement d’un réseau d’AMP est leur gouvernance et leur cogestion entre les acteurs publics, les secteurs professionnels et les usagers de la mer. Afin de maintenir un climat viable pour l’humanité, les politiques internationales et gouvernementales doivent entrer dans une logique d’adaptation et d’atténuation, et intégrer l’océan comme solution basée sur la nature, pour lutter contre le changement climatique.
Par Christine Causse, Daria Mokhnacheva et Guigone Camus
Le rôle de l’océan dans la régulation du climat le place au cœur des enjeux économiques et sociaux du changement climatique et, notamment, des enjeux relatifs à la migration environnementale. Mais s’il limite le réchauffement global, l’océan est aussi fortement perturbé par ce bouleversement majeur. Son rôle de régulation, et les services écosystémiques qu’il fournit, sont menacés. L’élévation du niveau de la mer, l’augmentation de la fréquence de phénomènes climatiques destructeurs, tels que les tempêtes de type cyclonique ou les marées de très grande amplitude, ont des conséquences sur les communautés humaines et peuvent être à l’origine de mouvements migratoires. Leur anticipation permettrait de réduire la vulnérabilité des milieux naturels et des communautés qui en dépendent.
Par Louise Ras
La COP21 marque la consécration des contributions nationales dans les négociations climatiques internationales. L’océan, présenté comme le « grand oublié » des négociations climatiques internationales lors de la COP21, a été remis sur la table des négociations. Comme tous les sujets, l’océan a dû être ardemment défendu pour arriver sur l’agenda politique international. Que sont les Contributions Prévues Déterminées au niveau National et comment sont-elles élaborées par les États ? Aujourd’hui, comment est-il pris en compte par les pays du bassin méditerranéen dans leurs contributions nationales ?
Par Bleuenn Guilloux et Romain Schumm
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) forment respectivement l’ossature juridique du droit de la mer et du droit du climat au niveau international. En tant que conventions-cadres, elles marquent le point de départ de régimes juridiques particuliers nouveaux qui ont vocation à évoluer dans le temps. D’une part, la CNUDM ne prend en compte que de manière incidente certains aspects touchant au climat dans ses rapports avec l’océan. Les changements climatiques viennent poser de nouveaux défis au droit de la mer qui doit s’adapter afin de lutter contre ses impacts et mettre en exergue le rôle « régulateur » de l’océan. Au titre de ces nouveaux enjeux, il est possible de citer la réglementation des émissions de GES du transport maritime, la fonte de l’Arctique ou encore, l’augmentation du niveau de la mer comme thématiques faisant l’objet de discussions internationales et nécessitant des approfondissements juridiques. D’autre part, il serait imprécis d’affirmer sans nuance que l’océan est le grand oublié des négociations internationales sur le climat. À plusieurs reprises dans les débats et dans les textes internationaux, il a été fait référence à l’océan comme un des aspects de la lutte contre les changements climatiques. Ceci étant, ces références sont partielles et les dispositions y étant relatives souffrent d’une portée juridique faible. Les effets de la mobilisation scientifique et politique autour des relations entre océan et climat permettent d’envisager aujourd’hui un renforcement de la prise en compte de l’océan par le droit du climat. L’inscription du terme « océan » dans l’Accord de Paris, le rapport spécial du GIEC relatif au Changement climatique, océans et cryosphère ou encore, la tenue d’une session océan à la COP 22 – lors de laquelle sera discutée la mise en œuvre de l’Accord de Paris – laissent présager un renforcement de la place de l’océan dans le régime climatique.