Du 27 juin au 1er juillet, plus de 6 000 participants, dont 24 chefs d’État et de gouvernement, et plus de 2 000 représentants de la société civile, se sont réunis à Lisbonne pour la Conférence des Nations unies sur l’océan, co-organisée par les gouvernements du Portugal et du Kenya. Si le rôle majeur que joue l’océan pour la biodiversité et les sociétés humaines est désormais largement reconnu, le Secrétaire général des Nations unies a ouvert cette conférence par un message d’avertissement : « Malheureusement, nous avons considéré l’océan comme acquis et nous sommes aujourd’hui confrontés à ce que j’appellerais une urgence océanique. Nous devons inverser le cours des choses« . 

 

Si l’ODD14 est le moins financé de tous les ODD, comme l’a rappelé Antonio Gutteres, il n’en est pas moins central pour la réalisation de l’ensemble des objectifs de l’Agenda 2030. Il subit des « menaces multidimensionnelles » engendrées par les pressions combinées du changement climatique, de la surpêche, de la perte de biodiversité et de la pollution résultant des activités humaines. Lors de l’ouverture de la conférence, le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, a souligné la nécessité de « passer  des propositions à l’action« ; fondées sur la science, la technologie et l’innovation. Il a également souligné l’importance de quitter Lisbonne « avec une compréhension claire des options et des voies de financement« . Avec 700 nouveaux engagements enregistrés et l’adoption de la déclaration de Lisbonne – « une série d’actions innovantes et fondées sur la science » – ce sommet avait pour objectif d’intensifier les solutions pour inverser le déclin de la santé de l’océan et construire l’avenir durable dont nous dépendons tous. 

 

Améliorer la gestion, la protection et la restauration des écosystèmes marins et de la biodiversité dans les mers territoriales et extraterritoriales

Une perte rapide de la biodiversité et des écosystèmes est observée dans le monde entier en raison des effets combinés du changement climatique et des activités humaines. En effet, depuis les années 1870, près de la moitié des récifs coralliens de la planète ont disparu ; et près de 87 % des zones humides mondiales ont été détruites au cours des 300 dernières années. Pour faire face à ce déclin, les experts ont de nouveau plaidé en faveur d’une intensification des actions visant à mieux gérer, protéger et restaurer les écosystèmes marins et côtiers, et de la protection d’au moins 30 % de l’océan d’ici 2030. A l’heure actuelle, seul 8% de l’océan est sous un régime de protection comme le rappelle le dernier rapport du GIEC sur les impacts, l’adaptation et les vulnérabilités, et 2% sous une protection forte ou intégrale. Pour combler cette lacune, plusieurs États se sont engagés à étendre la couverture des aires marines protégées (AMP) dans leurs eaux territoriales. C’est le cas des Pays-Bas, qui ont proposé d’intégrer la mer des Wadden dans un réseau transeuropéen d’AMP connectées. Des engagements financiers pour développer les AMP ont également été pris, notamment par MedFund qui s’est engagé à allouer 2,7 millions d’euros d’ici 2025 pour la création et la gestion de 20 AMP représentant 7 000 kilomètres carrés. En attendant, la protection de la haute mer, critique dans l’atteinte de l’objectif « 30×30 », reste lacunaire. À cet égard, les experts, les représentants de la société civile et les gouvernements ont appelé à l’adoption rapide d’un nouvel accord juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durable des ressources marines et de la biodiversité des zones situées au-delà de la juridiction nationale (appelées BBNJ). 

 

Améliorer la conformité des pratiques de pêche et de la production alimentaire aquatique avec les normes environnementales

La pêche a été un sujet central au cours de cette semaine alors que les ressources continuent de diminuer au niveau mondial en raison des effets combinés du changement climatique, de la surpêche et des pratiques néfastes ainsi que de la pollution marine. Santiago Wills, ambassadeur et représentant permanent de la Colombie auprès de l’Organisation mondiale du commerce, a rappelé qu’environ 50 % des stocks mondiaux de poissons sont surexploités. De même, le dernier rapport de la FAO sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2022 (SOFIA), publié au cours de la conférence, fait état d’une diminution à 64,6 % des stocks de poissons dans les limites des niveaux biologiquement durables en 2019. Parallèlement, la contribution de l’aquaculture à l’approvisionnement alimentaire a atteint des records et devrait continuer à croître, souvent au détriment de l’environnement. En conséquence, les représentants et les experts ont appelé au développement de pratiques de pêche et de production alimentaire aquatique durables. Le rapport SOFIA de la FAO a estimé que la restauration des stocks surexploités pourrait augmenter considérablement la production halieutique de 16,5 millions de tonnes. Dans cette optique, le consensus atteint le mois dernier sur l’interdiction des subventions néfastes à la pêche par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’annonce du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni de lancer une alliance internationale visant à éradiquer la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) sont deux signaux positifs vers la réalisation de cet objectif. L’accent a également été mis sur la préservation et la restauration de la pêche artisanale et à petite échelle. Néanmoins, les pêcheurs à petite échelle ont lancé un appel à l’action pour obtenir un accès préférentiel et la cogestion des zones côtières, la participation des femmes à l’innovation, la protection contre les secteurs concurrents de l’économie bleue, la transparence et la responsabilité dans la gestion des pêches et la poursuite des politiques de résilience au changement climatique.  

 

Vers des engagements pour la protection des grands fonds marins

En réponse aux scientifiques et aux défenseurs de l’océan qui ont tiré la sonnette d’alarme sur les risques de l’exploitation des grands fonds marins, des engagements politiques ont été annoncés lors de la conférence. Plusieurs délégations étatiques, dont Palau, Fidji et Samoa, se sont jointes aux appels en faveur d’un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins, soulignant que les risques pourraient dépasser les avantages potentiels. Sans mentionner la ZEE française – comme l’ont soulevé plusieurs ONG – le président Emmanuel Macron a quant à lui encouragé la création d’un « cadre juridique pour mettre fin à l’exploitation minière en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettent en danger les écosystèmes« , et a appelé à accroître les investissements dans la recherche. Les parlementaires de l’Action mondiale, représentés par l’eurodéputée Marie Toussaint, ont également lancé une déclaration parlementaire mondiale appelant à un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins, qui compte 102 signataires dans 37 pays. Ces différentes déclarations sont des signes encourageants pour la protection des grands fonds marins en amont des réunions de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) cet été (1-5 août 2022).

 

Accélérer la transition vers l’économie bleue 

De nombreux participants ont appelé à la transition vers une économie bleue durable via un large éventail de solutions pour parvenir à une économie à faibles émissions de carbone, notamment des transports maritimes et des ports décarbonés et des énergies marines renouvelables. La transition des économies océaniques des petits États insulaires en développement (PEID) a été particulièrement mise en avant lors de la conférence. L’ancien président des Seychelles, Danny Faure, a souligné l’extrême importance de garantir une place aux PEID à la table des négociations, appelant à la sauvegarde urgente de l’océan dont dépend la survie de nombreux peuples pour la sécurité alimentaire, la nutrition, l’emploi, le commerce et les loisirs. 

En ce qui concerne la transition de l’industrie du transport maritime, les États-Unis ont été particulièrement actifs. Conjointement avec la Norvège, ils ont annoncé la lancement d’un défi de navigation verte pour la 27e réunion de la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 27 de la CCNUCC, 7-18 novembre 2022). En outre, John Kerry, envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, a appelé l’Organisation maritime internationale (OMI) à adopter une stratégie révisée en matière de gaz à effet de serre qui inclut les objectifs de zéro émission au plus tard en 2050 avec un objectif intermédiaire d’ici 2030. Dans le domaine des énergies renouvelables, la Suède s’est engagée à atteindre une production 100% renouvelable d’ici 2040, incluant l’énergie éolienne en mer, tandis que Palau a annoncé une production 100% renouvelable d’ici 2032. 

 

Lutter contre la pollution marine

« Sans action drastique, la présence de plastique dans l’océan pourrait surpasser celle des poissons d’ici 2050« , a averti A. Guterres. Avec environ 11 millions de tonnes de plastique déversées chaque année dans l’océan, cette menace majeure pour les écosystèmes marins et l’humanité requiert changement radical de paradigme. Des États, dont l’Uruguay, ont encouragé une transition vers une économie circulaire du plastique ; une position reprise par le Forum des îles du Pacifique et l’Alliance des petits États insulaires qui ont appelé à la mise en place d’un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique d’ici 2024. Plusieurs annonces vont dans ce sens, notamment l’engagement du Japon à éliminer la pollution plastique d’ici 2050 dans le cadre de la stratégie d’Osaka. De même, le Kenya a déjà interdit les plastiques à usage unique et a appelé les autres pays à suivre la même voie. L’Inde s’est également engagée dans une campagne pour des mers propres et s’efforcera d’interdire les plastiques à usage unique. Toutefois, des ressources financières supplémentaires sont nécessaires pour réduire et éliminer efficacement la pollution marine. Dans cette optique, la Banque de développement d’Amérique latine a annoncé un engagement volontaire de 1,2 milliard USD pour soutenir des projets en faveur de l’océan dans la région.

 

Encourager et partager la science et l’innovation  

Organisée sur le thème « Intensifier l’action en faveur de l’océan en s’appuyant sur la science et l’innovation pour atteindre l’ODD14 » – et dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques – la Conférence des Nations unies sur l’océan a placé la science au centre des discussions. A ce titre, le rôle crucial des sciences océaniques pour comprendre et anticiper les changements dans l’océan, le climat et la biodiversité a été présenté comme une solution clé. Pour améliorer notre compréhension de l’océan et de son évolution future, plusieurs recommandations ont été formulées, notamment une cartographie approfondie de l’océan, le développement de réseaux d’observation, la poursuite du transfert de connaissances, de capacités et de technologies, notamment entre les pays développés, les PEID et les pays les moins avancés. Une attention particulière a été accordée à l’intégration des communautés locales et des populations autochtones dans la production de connaissances. Dans cette dynamique, l’Alliance des petits États insulaires en développement (AOSIS) a lancé la Déclaration pour l’amélioration des connaissances scientifiques marines, des capacités de recherche et du transfert des technologies marines vers les petits États insulaires en développement (PEID). En outre, étant donné que les sciences océaniques restent largement sous-financées et ne représentent que 1,7 % du budget total alloué à la recherche, plusieurs engagements ont été pris. La Suède notamment, a annoncé la mise à disposition de 400 000 USD en 2022 à la COI-UNESCO pour la Décennie des Nations Unies pour les Sciences océaniques au service du développement durable, afin de soutenir les travaux relatifs à la cible 3 de l’ODD 14.

 

Mobiliser la finance pour un océan durable 

Comme l’a martelé l’ambassadeur Peter Thomson, « cette semaine est pleinement consacrée à la finance« . L’un des principaux défis de la conférence était de replacer les préoccupations des pays du Sud au centre des enjeux de l’économie bleue. En effet, le manque de financement, de renforcement des capacités et de soutien au transfert de technologies reste le principal obstacle à l’action. Un soutien accru des pays développés aux pays en développement, en particulier les PEID et les PMA, ainsi que l’engagement des finances publiques et des philanthropes pour attirer les capitaux privés ont été présentés comme des leviers essentiels pour atteindre l’ODD14. En réponse, de nombreux engagements ont été pris dans différentes régions du monde. En Amérique latine, la Banque de développement d’Amérique latine a annoncé un engagement volontaire de 1,2 milliard USD pour soutenir des projets de protection de l’océan. De même, la Banque européenne d’investissement a promis de financer 150 millions d’euros dans la région des Caraïbes dans le cadre de l’initiative « Océans propres ». En Europe, l’Irlande a annoncé une enveloppe de près de 10 millions d’euros pour financer des initiatives en faveur de l’océan. Parallèlement, la Chine s’est engagée à lancer 31 projets de préservation et de restauration de l’écologie marine au cours des cinq prochaines années et à fournir une assistance aux pays en développement, notamment aux PEID, dans le cadre de l’initiative « One Belt One Road ». Sur le continent africain, la Namibie s’est engagée à allouer 5 millions de dollars par an à la recherche, au contrôle, au suivi et à la surveillance des écosystèmes marins.

 

 

A mi-chemin de l’Agenda 2030 pour le développement durable, les cibles de l’ODD 14 visant à conserver et à utiliser durablement l’océan, les mers et les ressources marines sont loin d’être atteintes. Bien que la pandémie ait repoussé de quelques années cette deuxième conférence des Nations unies sur l’océan, aucunes des cibles devant être évaluées initialement en 2020 n’ont été réalisées – cibles qui seront réexaminées lors du prochain Forum politique de haut niveau (5-15 juillet, New York) : 

  • 14.2   D’ici à 2020, gérer et protéger durablement les écosystèmes marins et côtiers, notamment en renforçant leur résilience, afin d’éviter les graves conséquences de leur dégradation et prendre des mesures en faveur de leur restauration pour rétablir la santé et la productivité des océans
  • 14.4   D’ici à 2020, réglementer efficacement la pêche, mettre un terme à la surpêche, à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et aux pratiques de pêche destructrices et exécuter des plans de gestion fondés sur des données scientifiques, l’objectif étant de rétablir les stocks de poissons le plus rapidement possible, au moins à des niveaux permettant d’obtenir un rendement constant maximal compte tenu des caractéristiques biologiques
  • 14.5   D’ici à 2020, préserver au moins 10 % des zones marines et côtières, conformément au droit national et international et compte tenu des meilleures informations scientifiques disponibles
  • 14.6   D’ici à 2020, interdire les subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, supprimer celles qui favorisent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et s’abstenir d’en accorder de nouvelles, sachant que l’octroi d’un traitement spécial et différencié efficace et approprié aux pays en développement et aux pays les moins avancés doit faire partie intégrante des négociations sur les subventions à la pêche menées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce

La déclaration de Lisbonne « Notre océan, notre avenir, notre responsabilité » a souligné ce sentiment d’urgence, en rappelant la nécessité d’agir rapidement et dans tous les secteurs, en mettant en évidence des domaines d’action innovants et fondés sur la science pour soutenir la mise en œuvre de l’ODD14. Malgré des sentiments mitigés quant aux résultats du processus de l’UNOC, la conférence de Lisbonne a une fois de plus placé l’océan au cœur de l’attention internationale. La mobilisation pour sensibiliser à l’état global de l’océan s’est considérablement accrue au cours des dernières années, atteignant les plus hauts niveaux de décision. Le président Macron était présent en personne pour proposer de co-organiser, conjointement avec le Costa Rica, la prochaine conférence des Nations unies sur l’océan en France en 2025 – alors que nous célébrerons le dixième anniversaire de l’Accord de Paris.

Bien que le chemin à parcourir reste long et difficile, la UNOC 2022 est une nouvelle étape importante pour ancrer l’océan dans l’agenda international, et pour initier l’action en faveur du déploiement de solutions en faveur de sa bonne santé et de la transition vers des économies et des sociétés bleues. Au cours des prochains mois, des réunions internationales majeures se tiendront et définiront l’avenir de notre planète bleue, parmis lesquelles la finalisation tant attendue d’un ambitieux traité sur la haute mer (15-26 août, New York), la COP27 de la convention sur le climat (7-18 novembre, Sharm el Sheik), ou encore la COP15 de la convention sur la biodiversité, où le cadre pour la biodiversité post-2020 doit être adopté (5-17 décembre, Montréal). Autant de réunions cruciales qui mettront les Parties et les acteurs non étatiques au défi de joindre le geste à la parole et de passer des engagements à des actions concrètes.

La Plateforme Océan & Climat et ses 100 membres restera fortement mobilisée, faisant le pont entre les différents rendez-vous pour briser les silos et garantir ainsi une gouvernance plus intégrée de l’océan, du climat et de la biodiversité. Malgré les nombreuses pressions qu’il subit, un océan protégé et résilient reste notre meilleur allié – et une source de solutions pour faire face aux grands défis de notre temps. 

 

Sarah Palazot, Anaïs Deprez, Simon Chevrot, Eva Matescot