Au cours des deux dernières semaines, plus de 20 000 délégués se sont rassemblés à Cali, en Colombie, pour la 16ème Conférence des Parties (COP16) à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Alors que le déclin de la biodiversité s’accélère, les attentes étaient élevées : les États doivent commencer à répondre de leurs engagements, pris dans le cadre du Cadre Mondial de la Biodiversité adopté en 2022, d’enrayer et d’inverser l’érosion de la biodiversité d’ici 2030. Toutefois les délégués ont quitté Cali avec un ressenti mitigé. Malgré une présidence colombienne déterminée à promouvoir la « Paix avec la Nature », les négociations ont été freinées par des questions financières, et certaines décisions clés ont finalement été reportées faute de quorum. Néanmoins, un résultat positif a émergé grâce à une large mobilisation : le rôle de l’océan dans l’atteinte des objectifs globaux de protection de la biodiversité a été largement reconnu, et des décisions importantes ont été adoptées.

DES AVANCÉES ENCOURAGEANTES VERS LA MISE EN ŒUVRE, BIEN QUE LES MOYENS RESTENT INSUFFISANTS

Alors que le monde s’efforce collectivement de transformer les engagements du Cadre Mondial de la Biodiversité en actions concrètes, l’un des principaux axes de la COP16 portait sur la révision des Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Diversité Biologique (aussi appelées SPANB). À la fin de la conférence, seuls 44 des 196 États-Parties – moins d’un tiers – avaient soumis des stratégies révisées. Avec seulement cinq ans pour atteindre l’ambition fixée à Montréal, il est essentiel que ce nombre augmente rapidement, car ces stratégies constituent l’outil principal de mise en œuvre du Cadre et, en fin de compte, d’atteinte des objectifs de la Convention. De manière encourageante, 119 États-Parties ont soumis de nouveaux objectifs nationaux alignés sur le Cadre, signalant ainsi des efforts continus vers la révision de leurs stratégies.

Garantir que ces stratégies ne restent pas de simples promesses nécessitera des moyens de mise en œuvre suffisants, prévisibles et accessibles. L’élaboration d’un plan financier concret constituait l’un des principaux sujets de négociation de la COP16, mais les discussions ont été freinées, et les décisions reportées, risquant de retarder la mise en œuvre du Cadre. Cependant, huit pays, dont la France, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, ont annoncé l’investissement de plusieurs millions au profit du Fonds pour le Cadre Mondial de la Biodiversité, portant le total des contributions réalisées en 2024 à près de 400 millions de dollars. Bien que significatif, ce montant reste en deçà de l’objectif du Cadre de mobiliser au moins 200 milliards de dollars par an d’ici 2030, appelant donc des investissements bien plus importants de toutes sources, tant publiques que privées.

Aussi appelée « la COP des Peuples », la COP16 a marqué la reconnaissance formelle du rôle des peuples autochtones et des communautés locales (IPLC) en tant que gardiens de la Nature, ainsi que de leurs connaissances inestimables pour la mise en œuvre du Cadre Mondial de la Biodiversité. Dans les dernières étapes des négociations, un organe subsidiaire a été établi pour garantir leur pleine et effective participation – une décision attendue qui élèvera leur voix au sein de la CDB.

UNE VAGUE DE MOBILISATION À LA COP16

La communauté océan s’est mobilisée pour sensibiliser davantage au rôle de l’océan, en veillant à ce que les délégués rejoignent les négociations conscients du fait que la « Nature est Aussi Bleue » – un message omniprésent, depuis les premiers pas à l’aéroport de Cali ainsi que grâce aux autocollants dispersés sur le site de la COP. Cette dynamique a culminé lors du “Ocean Day”, organisé par le Secrétariat de la Convention. À cette occasion, la Plateforme Océan & Climat, soutenue par plusieurs partenaires, a lancé avec succès les « Ocean Breakthroughs » à la CBD. Les “Ocean Breakthroughs” identifient un ensemble de points de bascule positifs dans cinq secteurs clés de l’océan, dont l’atteinte soutiendra la réalisation des objectifs globaux climatiques et de biodiversité en délivrant des co-bénéfices pour les communautés. La visibilité de l’océan a dépassé le cadre de cette journée, grâce à de nombreuses sessions consacrées à des questions cruciales comme la pêche durable et la conservation marine. Plusieurs acteurs non étatiques ont saisi ces occasions pour annoncer de nouvelles initiatives, outils et investissements. La forte mobilisation de la communauté océanique a ainsi conduit la COP16 à être saluée comme la « plus grande COP bleue de la CDB » à ce jour par le Secrétariat.

Plusieurs États-Parties ont également porté l’agenda ‘océan’, notamment les petits États insulaires en développement (PEID) – ou « grands États océaniques », plus visibles et actifs que lors des précédentes COP sur la biodiversité. Les Seychelles ont appelé à davantage de travail sur la biodiversité marine et côtière au sein de la Convention. Dans un effort de démontrer le progrès déjà réalisé, les Maldives ont notamment annoncé que 14 % de leurs récifs coralliens sont désormais protégés, avec d’autres zones additionnelles prévues d’ici 2030 et les Açores ont annoncé la création du plus grand réseau d’Aires Marines Protégées (AMP) de l’Atlantique Nord. Ces annonces sont significatives et témoignent d’un engagement clair en faveur de la protection de l’océan, qui devra se refléter concrètement dans les stratégies nationales. Une analyse approfondie des stratégies révisées publiées sera cruciale pour estimer dans quelle mesure les solutions fondées sur l’océan sont intégrées, d’autant que 39 des 44 soumissions ont été faites par des pays insulaires ou côtiers.

ADOPTION DE DEUX DÉCISIONS MAJEURES POUR FAIRE AVANCER LA PROTECTION DE L’OCÉAN

Après huit ans de négociations, les États-Parties à la CBD ont adopté une décision historique concernant les Zones Marines d’Importance Écologique ou Biologique (ou EBSAs en anglais) – un processus scientifique et technique visant à identifier les zones particulièrement importantes pour la biodiversité marine et côtière. Cette décision, qui définit de nouvelles modalités pour la modification ou la description des EBSA, marque une avancée cruciale pour la sauvegarde de la biodiversité marine, car les informations recueillies peuvent contribuer à des mesures de conservation significatives. En effet, les EBSA peuvent être désignées à l’intérieur de zones économiques exclusives, ainsi que dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale, et sont ainsi un instrument-clé non seulement pour la mise en œuvre du Cadre Mondial de la Biodiversité, mais aussi pour l’Accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (Accord BBNJ). Cette décision prend une valeur d’autant plus particulière à la lumière d’un récent rapport indiquant que seuls 8,4 % des zones océaniques et côtières seraient protégées et conservées*, loin de l’objectif fixé par le Cadre Mondial de la Biodiversité de protéger et gérer efficacement au moins 30 % des zones marines et côtières d’ici 2030.

De plus, les États-Parties se sont accordés sur la révision du Programme de Travail sur la biodiversité marine et côtière, définissant de nouvelles priorités d’action pour soutenir leurs efforts. Dix-neuf domaines nécessitant une attention accrue ont été identifiés, certains revêtant une importance particulière pour le nexus océan-climat-biodiversité, tels que la nécessité de « cartographier, surveiller, restaurer et gérer efficacement les écosystèmes marins et côtiers qui contribuent à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique (…) » et de « renforcer l’utilisation de solutions fondées sur la nature et/ou d’approches écosystémiques dans divers écosystèmes côtiers et marins ». La révision du Programme de Travail était nécessaire pour garantir l’atteinte des objectifs du Cadre Mondial de la Biodiversité, mais les États-Parties ont également souligné que des lignes directives quant à la protection et l’utilisation durable de la biodiversité marine et côtière existent déjà, et doivent être pleinement mises en œuvre.

Ces décisions portent spécifiquement sur l’océan, or, celui-ci est transversal dans le Cadre Mondial de la Biodiversité. Il a donc toute sa pertinence dans d’autres éléments de négociation, notamment la décision sur le Cadre de Suivi – un outil essentiel pour mesurer et évaluer les progrès vers la réalisation des objectifs mondiaux en matière de biodiversité. Malheureusement, les États-Parties n’ont pas réussi à s’accorder sur ce point avant de quitter Cali. Historiquement, l’océan a longtemps été négligé dans les stratégies nationales, mais sa représentation dans le Cadre de Suivi, par l’adoption d’indicateurs dédiés, est cruciale pour garantir que les États-Parties prennent des mesures marines significatives et robustes. À ce stade, l’océan est relativement bien représenté, mais de nombreux indicateurs demeurent facultatifs et leur adoption dépendra de la volonté de chaque pays à les intégrer. Parvenir à un accord sur ces indicateurs est particulièrement urgent, car les États-Parties élaborent actuellement leurs stratégies (NBSAP), dont ils devront évaluer le progrès à l’occasion de la première évaluation mondiale de la mise en œuvre du Cadre, lors de la prochaine COP en 2026.

VERS UNE MEILLEURE SYNERGIE ENTRE LES CONVENTIONS DE L’ONU

À la COP16, le renforcement des synergies entre le climat et la biodiversité, notamment par l’alignement des stratégies nationales sur la biodiversité et le climat, a émergé comme une priorité. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé tous les pays à présenter des plans clairs, ambitieux et détaillés pour s’aligner sur les objectifs du Cadre Mondial de la Biodiversité, en insistant sur le fait que « [ces plans] devraient être élaborés en coordination avec les Contributions Déterminées au niveau National et les Plans Nationaux d’Adaptation – avec des résultats positifs pour les Objectifs de Développement Durable ». Un message porté par la Plateforme Océan & Climat, dans son policy brief intitulée “Blue Thread : Aligning National Climate and Biodiversity Strategies, qui explore comment les solutions fondées sur l’océan peuvent aider à faire face aux crises de la biodiversité et du climat de manière intégrée. Plusieurs pays ont porté ce message, dont le Brésil, qui présidera la COP30 de la CCNUCC en 2025 – une étape prometteuse vers une synergie renforcée entre les conventions. Une lettre ouverte intitulée “De Cali à Belém”, adressée aux présidents Gustavo Petro (Colombie) et Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) par plus de 70 représentants de la société civile, a également souligné ce message. Bien que ce consensus grandissant soit encourageant, le défi réside dans la traduction de cette vision en politiques concrètes.

Reconnaissant les premiers progrès accomplis, l’adoption d’une décision sur la biodiversité et le changement climatique a appelé à la mise en œuvre de ces synergies. Les États-Parties ont souligné que l’atteinte des objectifs mondiaux en matière de biodiversité dépend d’une action climatique immédiate et efficace, y compris de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en mettant en avant le rôle essentiel de la nature dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. La décision rappelle notamment le rôle-clé de l’océan dans la régulation du climat et fait référence aux Dialogues sur l’Océan et le Changement Climatique de 2023 et 2024, qui ont également souligné la nécessité de renforcer les liens institutionnels pour accroître l’ambition et l’action mondiale en faveur d’un océan résilient. Les instances des différentes conventions sont encouragées à agir en conséquence : les États-Parties, en tenant compte des impacts climatiques actuels et projetés et des politiques climatiques dans la mise en œuvre du Cadre, et les Secrétariats des conventions, par une collaboration renforcée. En outre, la décision invite tous les acteurs concernés à soumettre, d’ici mai 2025, leurs avis sur les options visant à améliorer la coopération et la cohérence des politiques entre les régimes de biodiversité et de climat, notamment par la mise en place éventuelle d’un programme de travail conjoint des trois Conventions de Rio (CDB, CCNUCC et Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification) – comme recommandé dans le policy brief “Blue Thread”.

Les discussions sur les synergies ont dépassé le cadre biodiversité-climat, pour évoquer celle entre la CBD et l’Accord BBNJ, fréquemment mentionnée au sein et en dehors des salles de négociation. Les acteurs non étatiques se préparent déjà à une mise en œuvre rapide de l’Accord, lorsqu’il sera entré en vigueur. Un consortium de 11 fondations philanthropiques, dont le Bezos Earth Fund, Bloomberg Philanthropies et Oceans5, a annoncé un engagement de 51,7 millions de dollars pour accélérer le développement d’AMP de haute qualité dans les zones au-delà de la juridiction nationale. De plus, un groupe d’organisations de la société civile a lancé l’Accélérateur d’AMP en Haute Mer, qui vise à promouvoir la collaboration et à harmoniser les efforts pour accélérer le développement de propositions pour un réseau connecté et efficace d’AMP de haute qualité et bien gérées en haute mer.

À L’HORIZON…

La COP16 se conclut sur des résultats mitigés, révélant une volonté certaine de protéger la biodiversité, contrasté par des désaccords importants quant aux moyens de soutenir efficacement cette ambition. Le message selon lequel la « Nature est aussi Bleue » a fortement résonné, et la COP16 a été la « COP de la CBD la plus bleue » à ce jour. Cependant, pour faire perdurer ce message, il sera nécessaire de parvenir à un accord sur les moyens de mise en œuvre, dont les ressources financières. Une deuxième partie de la COP16 devrait être organisée dans les mois à venir pour finaliser les décisions encore en suspens. Il sera alors important de maintenir l’élan de Cali pour réaliser ces progrès. Entre-temps, des discussions similaires auront lieu à la COP29 de la CCNUCC à Bakou, Azerbaïdjan (11-22 novembre 2024), où l’accent sera mis sur la définition d’un nouvel objectif collectif quantifié pour le financement de l’action climatique, ainsi que la soumission de nouvelles stratégies climatiques plus ambitieuses, attendues pour février 2025. L’océan, comme un fil bleu à travers ces différentes instances, peut nous aider à naviguer dans ces eaux complexes comme source de solutions pouvant répondre aux objectifs internationaux liés au Climat, à la Nature et aux Peuples. 

 

* Rapport Planète Protégée 2024 ; WCPA, UICN, PNUE-WCMC, Planète Protégée. URL

 

Autrices : Cyrielle Lâm et Marine Lecerf, avec le soutien d’Anaïs Deprez et Maud Chevalier