Lundi 21 octobre, la 16ème Conférence des Parties (COP16) à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) commencera à Cali en Colombie. À l’occasion de cette conférence, la première depuis l’adoption en 2022 du Cadre Mondial de la Biodiversité post-2020, les États-Parties  centreront leurs efforts sur la traduction de ce cadre en actions concrètes. Ils devraient présenter leurs Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Diversité Biologique (aussi appelées SPANB) révisées en alignement avec les nouveaux et ambitieux objectifs et cibles du Cadre. Avec seulement cinq ans pour atteindre ces cibles, l’urgence d’une mise en œuvre efficace n’a jamais été aussi pressante. Dans cette course contre la montre, maintenir la santé de l’océan et de ses écosystèmes s’avère vital pour lutter contre la perte de biodiversité et accélérer la mise en œuvre du Cadre Mondial de la Biodiversité post-2020. La COP16 offre une opportunité cruciale pour intégrer pleinement l’océan dans la mise en œuvre du Cadre, tout en veillant à ce que les leviers d’action soient pleinement activés.

La Nature est aussi Bleue

Adopté à la COP15, le Cadre Mondial de la Biodiversité post-2020 est un accord historique dont l’objectif est d’enrayer et, à terme, d’inverser la perte de biodiversité d’ici 2030. Il s’articule autour de quatre objectifs primordiaux et est divisé en vingt-trois cibles, traçant ainsi une voie claire vers une une coexistence en harmonie avec la nature. Le mandat de la Convention sur la Diversité Biologique s’étend à toute forme de vie sur Terre, incluant les écosystèmes terrestres et marins,  sans distinction. Par conséquent, l’absence de cibles spécifiques à la biodiversité marine n’implique pas leur exclusion, mais plutôt une inclusion par défaut. Bien que l’océan soit un élément transversal du cadre, il ne bénéficie en pratique que de peu d’attention. À titre d’exemple, la part de financements “biodiversité” dédiés à l’océan demeure encore faible. Pour remédier à cette sous-représentation, et considérant l’importance majeure de la santé de la biodiversité marine et côtière dans la réalisation du Cadre Mondial de la Biodiversité, il est essentiel de reconnaître que la Nature Est Aussi Bleue.

Alors que l’accent est désormais mis sur la mise en œuvre, la COP16 offre une occasion cruciale de veiller à ce que les écosystèmes marins et côtiers soient effectivement pris en compte et intégrés, en particulier dans les Stratégies nationales et plans d’action pour la biodiversité (SPANB ou NBSAPs) des États – principal instrument de mise en œuvre du cadre. En effet, il est demandé aux États-Parties de réviser leurs stratégies nationales en alignement avec les nouveaux objectifs et cibles du Cadre. Dans ce contexte, il est essentiel qu’elles incluent des mesures robustes pour protéger et gérer durablement les écosystèmes marins et côtiers. Pourtant, à quelques jours de l’échéance que constitue la COP16, seuls 25 des 196 États-Parties ont soumis des stratégies révisées. Si le changement est un défi, et que de nombreux pays rencontrent des obstacles tels que le manque de données ou des financements insuffisants, un écart d’ambition préoccupant subsiste entre les engagements pris à Montréal et les mesures prises jusqu’à présent pour protéger la biodiversité marine.

Une mise en oeuvre bleue du Cadre Mondial de la Biodiversité

Lors de l’adoption du Cadre Mondial de la Biodiversité, il a été reconnu qu’un cadre de suivi solide était crucial pour suivre et évaluer les progrès réalisés. En effet, l’échec de la réalisation des Objectifs d’Aichi, qui constituait le cadre politique antérieur, a souvent été imputé à l’absence d’un tel mécanisme. Pour cette raison, la finalisation du cadre de suivi figure parmi les priorités de la COP16. Bien que les négociations soient à un stade avancé, limitant ainsi les possibilités d’amendements majeurs, il existe encore une opportunité clé pour renforcer la place de l’océan dans les indicateurs.  Les indicateurs peuvent en effet servir de moteurs d’action pour les Parties et mettre en évidence la contribution de l’océan à la réalisation de chaque objectif. Actuellement, l’océan est relativement bien pris en compte, mais certains secteurs, tels que la pêche et l’aquaculture, sont sous-représentés et nécessitent des améliorations ciblées.

En outre, deux points à l’ordre du jour de la COP16 seront spécifiquement consacrés à l’océan. Un des points abordés est le programme de travail sur la biodiversité marine et côtière, qui définit les actions essentielles que les Parties doivent entreprendre pour utiliser et conserver durablement ces écosystèmes clés. Une révision de ce programme est en cours pour établir de nouvelles priorités d’action, orientant ainsi les Parties sur les domaines où concentrer leurs efforts, et sera examinée pour adoption à Cali. Il est donc primordial que les questions relevant du nexus océan-climat-biodiversité, dont de nombreuses ont été sous-représentées jusqu’à présent, soient clairement identifiées. Ils sont pour le moment pris en compte dans le projet de décision, témoignant d’une évolution positive vers une plus grande attention portée aux interactions entre le climat et la biodiversité. Toutefois, la liste des priorités identifiées est vaste, et les États-Parties devront la simplifier pour mieux répondre aux enjeux clés. Pour soutenir cet effort, la Plateforme Océan & Climat, en partenariat avec le Lyell Centre, The Nature Conservancy et le WWF, a élaboré un document de travail sur les questions relatives à la biodiversité marine et côtière pour la COP16, visant à fournir des informations stratégiques sur celles-ci et faciliter l’adoption de la décision. 

Tisser un fil bleu entre les conventions relatives au Climat et à la Biodiversité

Comme rappelé par Elizabeth Maruma Mrema, ancienne Secrétaire Exécutif de la CDB, “la santé de l’océan est essentielle à la santé de notre planète. Alors que nous sommes confrontés à la double crise du changement climatique et du déclin de la biodiversité, nous devons prioriser la protection et la gestion durable des écosystèmes marins” (traduit de l’anglais). 

Considérant ce lien central, il est évident que les solutions fondées sur l’océan ont le potentiel de répondre non seulement au Cadre Mondial de la Biodiversité, mais aussi à l’Accord de Paris. Toutefois, ce potentiel ne peut être déployé que par l’inclusion de ces solutions dans les stratégies nationales pour le climat et la biodiversité, et ce de manière holistique et cohérente, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Alors même que ces stratégies sont intrinsèquement complémentaires et présentent des synergies,, elles sont aujourd’hui traitées comme des processus séparés, mobilisant différents types d’acteurs. En effet, les stratégies nationales pour la biodiversité sont établies par les ministères et agences nationales travaillant sur la conservation, les forêts et l’agriculture, alors que leur pendant pour le climat, les Contributions Nationales Déterminées (CDN ou NDCs en anglais), mobilisent les instances équivalentes travaillant sur l’énergie, le transport et l’industrie. En conséquence, les politiques liées à l’océan sont élaborées en vase clos, répondant soit aux objectifs pour la biodiversité, soit à ceux pour le climat, sans les considérer comme un ensemble. L’agenda de cette année constitue donc une opportunité significative pour renforcer la coordination et l’alignement de ces stratégies, car  pour la première fois, la soumission des stratégies révisées se chevauchent, celles pour la biodiversité étant dûes en octobre 2024 et celles pour le climat en février 2025.

Pour accompagner les États vers davantage de synergies, la Plateforme Océan & Climat et la Blue Marine Foundation, avec le soutien de dix partenaires, ont publié le policy briefBlue Thread: Aligning National Climate and Biodiversity Strategies”. Ce papier  démontre (1) que les conventions sur la biodiversité et le climat peuvent collaborer efficacement pour soutenir un alignement au niveau national. En outre, il (2) explore la façon dont les solutions fondées sur l’océan peuvent améliorer la cohérence politique entre les SPANB et les CDN pour plus d’efficacité et d’impact. Enfin, le document (3) examine les différents leviers et les possibilités d’accélérer et d’étendre la mise en oeuvre de ces solutions.

Ce policy brief présente également les Ocean Breakthroughs – une campagne de mobilisation lancée lors de la COP28 sur le climat – en tant que levier pour promouvoir des solutions océaniques. Articulés autour de cinq secteurs clés (la conservation marine, l’alimentation aquatique, les énergies renouvelables en mer, le transport maritime et le tourisme côtier) les Ocean Breakthroughs s’attaquent à la question fondamentale de la théorie du changement : « Que devons-nous accomplir d’ici 2030 pour transformer le fonctionnement de ces secteurs ? » En définissant des points de basculement pour chacun d’entre eux, ils visent à contribuer à un avenir résilient, favorable à la nature et à zéro émission nette d’ici 2050. Dans ce contexte, les Ocean Breakthroughs peuvent faire progresser efficacement les objectifs liés à la nature et au climat de manière holistique et équitable, répondant ainsi à la nécessité de renforcer les synergies au niveau de la mise en œuvre.

A l’heure où les gouvernements se préparent à présenter des stratégies plus ambitieuses, les Ocean Breakthroughs peuvent servir d’outils précieux pour intégrer des mesures fondées sur l’océan, tout en encourageant la mobilisation des acteurs non étatiques. Dans un esprit de synergie, la Plateforme Océan & Climat et les Champions de haut niveau pour le climat, aux côtés de la communauté océanique, porteront les Ocean Breakthroughs à la COP16, en démontrant leur pertinence dans la réalisation des objectifs et aux cibles du Cadre mondial pour la biodiversité. 

 

Le Cadre Mondial de la Biodiversité représente une opportunité de restaurer l’harmonie avec la nature. Néanmoins, une volonté politique solide, suivie d’actions tangibles est nécessaire pour garantir l’efficacité de la mise en œuvre et l’atteinte des objectifs globaux adoptés par la communauté internationale.