Dix ans après l’Accord de Paris, la COP30 à Belém a marqué un moment charnière pour la coopération climatique mondiale. Si les États-Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont réaffirmé leur engagement à maintenir l’augmentation de la température moyenne de la planète aussi proches que possible de +1,5 °C, les nouvelles stratégies nationales climatiques soumises cette année continuent de placer le monde sur une trajectoire de +2,3 à 2,5 °C. Par ailleurs, les États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une feuille de route pour abandonner les énergies fossiles. Néanmoins, des avancées positives ont été enregistrées. Dans un effort pour passer de la négociation à la mise en œuvre, l’Agenda de l’Action est apparu comme un véritable moteur pour la prochaine phase de l’Accord de Paris. Le bilan de cette COP peut sembler modeste, mais il est significatif – une preuve que la coopération climatique internationale demeure, selon les mots du Secrétaire exécutif de la CCNUCC Simon Stiell, « vivante et dynamique, maintenant l’humanité dans la lutte pour une planète habitable ». Dans ce contexte, l’océan s’est imposé comme une source fiable de solutions.
Renforcer l’ambition climatique mondiale dans un contexte politique complexe
Combattre la désinformation climatique et défendre la science
Dans un contexte politique difficile, la Présidence brésilienne de la COP 30 a voulu faire de cette édition la « COP de la vérité ». Plus qu’un simple moment de vérité – avec la soumission de nouvelles stratégies climatiques nationales plus ambitieuses après le premier Bilan mondial – le Président brésilien Lula a insisté sur la nécessité de lutter contre la désinformation pour défendre la science. S’appuyant sur l’Initiative mondiale pour l’intégrité de l’information sur le changement climatique (Global Initiative for information integrity on Climate Change en anglais), la COP 30 a érigé la question de l’intégrité de l’information climatique en sujet majeur pour la première fois.
Parallèlement aux appels à maintenir l’objectif de 1,5 °C et à limiter tout dépassement, les Parties se sont largement mobilisées en soutien au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), tandis qu’une poignée de pays tentaient de minimiser les conclusions scientifiques dans les textes et de miner son rôle en tant que source de la meilleure science disponible. Malgré cette mobilisation, les références à la nécessité de « lutter contre la désinformation sur le changement climatique » ont été supprimées, et les dernières conclusions sur l’état du climat ont été exclues de plusieurs textes, suscitant de vives inquiétudes parmi les délégations et les observateurs.
Déceptions sur l’absence d’une feuille de route pour la sortie des énergies fossiles
Au terme des deux semaines de négociations, les États-Parties se sont mis d’accord sur le texte intitulé Global Mutirão, qui peut être compris comme le résultat politique de la conférence. Bien que ce ne soit pas une « décision de couverture », ce texte a permis de consolider des questions clés qui n’étaient pas inscrites à l’agenda formel et est devenu l’accord principal de la COP30. Ce texte a notamment offert un espace pour discuter de la création d’une feuille de route pour sortir des énergies fossiles, principale cause du changement climatique.
En effet, lors du Sommet des dirigeants mondiaux, le Président Lula avait appelé à la création de « feuilles de route pour surmonter de manière juste et stratégique (…) la dépendance aux énergies fossiles ». Cette question, en réponse à l’appel de la COP28 à s’éloigner des énergies fossiles, a dominé les discussions pendant les deux semaines, et avait obtenu le soutien de plus de 80 pays. Toutefois, face à l’opposition d’États pétroliers tels que l’Arabie saoudite et la Russie, sa seule mention a été retirée du texte final, provoquant critiques et déception face à cette occasion manquée.
La présidence de la COP30 s’est toutefois engagée à élaborer une feuille de route formelle d’ici la COP31. Deux nouveaux mécanismes ont également été introduits : la Mission Belém 1,5 °C et le Global Implementation Accelerator. Bien qu’ils ne suffisent pas à réaliser l’ambition nécessaire, ces mécanismes offrent une opportunité d’accélérer la mise en œuvre et la responsabilisation des acteurs. Les premiers progrès pourraient être présentés les 28 et 29 avril 2026, lors de la Première Conférence internationale sur la sortie des énergies fossiles co-organisée par la Colombie et les Pays-Bas.
Remettre la nature au cœur de l’action climatique
Ambition mondiale : élever l’océan au même rang que les forêts
Dès 2022, le Président Lula avait annoncé son engagement à accueillir la COP30 en Amazonie, visant à placer la nature – et les forêts en particulier – au centre de l’action climatique. Cependant, 2025 ayant été marquée par d’importants jalons océaniques, dont la 3ᵉ Conférence des Nations Unies pour l’Océan, le Brésil a élevé l’océan au même rang que les forêts. Cela s’est traduit par la nomination d’un Envoyé spécial pour l’océan de la présidence de la COP30 et l’inclusion d’un segment océan lors du Sommet des dirigeants mondiaux – signalant son importance politique. L’océan a ainsi été explicitement reconnu dans le texte final de la COP comme puits de carbone critique et contributeur à la stabilité climatique mondiale.
Les peuples autochtones et communautés locales (IPLC) ont été reconnus comme acteurs clés à la COP30. La Présidence brésilienne avait notamment mobilisé la plus grande délégation autochtone de l’histoire de la CCNUCC et mis les droits, le leadership et les savoirs autochtones au centre des négociations. Cependant, cette ambition a rencontré plusieurs limites : seulement 14 % des candidats autochtones ont obtenu l’accréditation pour accéder à la Zone Bleue, menant à des protestations et des confrontations, et des contraintes logistiques ont limité leur participation. Les efforts pour renforcer leur représentation ont stagné, laissant un sentiment que cette visibilité ne s’était pas réellement concrétisée en une inclusion politique significative.
Engagements nationaux : la promesse des CDNs bleues
La priorité de cette COP était la révision des stratégies climatiques nationales – aussi appelées Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Selon le dernier Rapport de synthèse des CDN publié par la CCNUCC, près de 90 % des États-Parties ont indiqué que leurs plans mis à jour étaient informés par le premier Bilan mondial, avec des améliorations en termes de qualité, de portée et de crédibilité des stratégies. Malgré plus de 100 nouvelles stratégies soumises, le monde reste sur une trajectoire d’augmentation de la température moyenne de 2,3 à 2,5 °C d’ici 2100.
La mobilisation autour des CDN bleues est cependant plus encourageante. L’appel du Défi CDN bleues (en anglais Blue NDC Challenge) à inclure davantage de mesures fondées sur l’océan dans les CDN a trouvé un écho mondial. Un rapport récent de la Plateforme Océan & Climat, Ocean Conservancy et World Resources Institute, montre que sur 66 CDN récemment soumises par des pays côtiers et insulaires, 61 incluent désormais au moins une mesure liée à l’océan. En outre, lors de l’événement ministériel « From Ambition to Implementation: Delivering Ocean Commitments », six nouveaux pays – Belgique, Cambodge, Canada, Indonésie, Portugal et Singapour – ont rejoint le Challenge. Le Brésil et la France ont annoncé la transition du Challenge en Blue NDC Implementation Taskforce, marquant un passage de l’engagement à la mise en œuvre concrète.
Une nouvelle ère de mise en œuvre : des négociations à l’action
Plusieurs accords adoptés pendant les négociations pourraient soutenir l’action océan-climat et répondre au mandat de la COP 26 d’intégrer l’océan dans les processus de la CCNUCC.
Adoption d’indicateurs pour mesurer le progrès vers l’objectif mondial d’adaptation
Les négociateurs devaient convenir d’un ensemble d’indicateurs pour mesurer les progrès collectifs vers l’Objectif mondial d’adaptation (ou Global Goal on Adaptation). Malgré des obstacles, notamment sur la mesure du financement, les Indicateurs d’adaptation de Belém (Belém Adaptation Indicators) ont été adoptés. Parmi les 59 indicateurs, six portent sur les écosystèmes et la biodiversité, avec une référence explicite à l’océan et aux zones côtières, représentant une victoire pour la communauté océan.
Garantir des ressources adéquates pour les plans climatiques nationaux
Le financement n’était pas au sommet de l’agenda de la COP30, mais l’élan issu des discussions tenues à Bakou, à la COP29, a influencé la conférence. Le financement est finalement apparu comme un résultat majeur du texte final, incluant un événement ministériel sur la mise en œuvre du nouvel objectif quantitatif collectif de financement climatique, un appel à tripler le financement de l’adaptation climatique d’ici 2035, et l’établissement d’un programme de travail de deux ans. Ces initiatives pourraient clarifier l’allocation des financements climatiques aux secteurs océaniques.
Des signaux positifs ont toutefois émergé, à commencer par la Feuille de route Bakou-Belém, qui a identifié la nature comme l’un de ses cinq piliers. Cette feuille de route met en avant des priorités telles que les aires marines protégées, les écosystèmes de carbone bleu, la résilience des communautés côtières et une gouvernance de l’océan plus transparente. En outre, le Comité permanent du financement (Standing Committee on Finance) consacrera son Forum 2026 aux systèmes liés à l’eau et à l’océan, ce qui pourrait aider à clarifier l’ampleur actuelle des financements climatiques dirigés vers les solutions fondées sur l’océan et à formuler des recommandations concrètes. Cela pourrait également soutenir le développement d’une Fenêtre pour la Finance Bleue (ou Blue Finance Window en anglais), un mécanisme dédié pour canaliser un financement prévisible, traçable et à grande échelle vers les solutions climatiques basées sur l’océan – discutée en marge des négociations.
Une occasion manquée de renforcer les synergies de Rio
Malgré l’élan de la COP16 de la Convention sur la diversité biologique à Cali en 2024 et l’engagement du Brésil à poursuivre l’héritage du Sommet de la Terre de Rio de 1992, les efforts pour renforcer les synergies entre les conventions de Rio ne sont pas à la hauteur des attentes. La décision officielle s’est limitée à un engagement minimal, demandant au Secrétariat de la CCNUCC de renforcer sa collaboration avec le Groupe de liaison conjoint afin de soutenir la coordination entre les secrétariats des Conventions de Rio. Néanmoins, les pays ont continué à mobiliser des dialogues de haut niveau, aboutissant à la Déclaration conjointe de Belém, qui appelle notamment à la mobilisation et à la collaboration entre les agendas de l’action respectifs – une première sur cette question. L’océan, malgré son fort potentiel pour tisser un fil bleu entre les conventions, est resté largement absent des échanges.
La vague à venir : assurer l’engagement de la société civile
Une Blue Mutirão pour l’océan
Au-delà des salles de négociation, la COP30 s’est distinguée par son large engagement et la mobilisation de la société civile, portée par l’appel de la Présidence à un Mutirão mondial (ou « efforts collectifs ») et par un Agenda de l’action redynamisé – soulignant le fait que les gouvernements ne peuvent pas faire progresser l’action climatique seuls. Structuré autour de six piliers thématiques, dont un consacré à la nature, incluant la protection et la restauration de l’océan et des écosystèmes marins, l’Agenda de l’Action de la COP30 a offert une plateforme de haute visibilité pour les organisations non gouvernementales, le secteur privé, les représentants des peuples autochtones et communautés locales (IPLC) ainsi que les instituts scientifiques présents à Belém.
La communauté océan s’est elle-même organisée en une « mutirão » mondial pour l’océan à travers le Pavillon Océan, les événements lors de la journée officielle de la COP dédiée à l’océan et la campagne Wave Forward. Parmi les contributions les plus significatives figure le Blue Package. Fruit de la collaboration des membres de la communauté océan et piloté par le Partenariat de Marrakech pour l’Océan et les Zones côtières, l’équipe des Champions de Haut-niveau pour le Climat et le Ministère brésilien de l’Environnement et du Changement climatique, le Blue Package traduit les Ocean Breakthroughs en actions concrètes, en traçant une feuille de route commune pour déployer d’ici 2028 des solutions fondées sur l’océan à grande échelle pour atteindre les objectifs sur le climat, la nature et en faveur des populations, montrant ainsi comment l’action collective peut avoir un impact considérable.
Suivi des progrès et passage à l’action
Pour adresser une fatigue croissante vis-à-vis de la multiplication des promesses et des engagements, la plateforme de suivi (ou “Dashboard”) des Ocean Breakthroughs a été lancée à la COP30 pour suivre et mesurer les progrès tangibles réalisées dans les cinq secteurs concernés par la campagne. Cet outil en ligne représente une étape importante pour combler le fossé entre l’ambition politique et la mise en œuvre. Il offre un aperçu transparent et basé sur les données scientifiques de la manière dont les solutions fondées sur l’océan contribuent aux objectifs climatiques et de préservation de la nature. En traduisant des données complexes en informations claires et exploitables, il permet aux gouvernements, entreprises et acteurs de la société civile de comprendre quels sont les progrès, où des lacunes subsistent et où des actions supplémentaires peuvent avoir le plus grand impact.
D’autres initiatives visant à faire progresser l’action océan-climat ont été présentées et portées dans le cadre de l’Agenda de l’Action. Par exemple, le Mangrove Breakthrough a lancé le Mangrove Catalytic Facility, un outil moteur pour accélérer la préparation aux investissements et atteindre son objectif de mobiliser 4 milliards de dollars pour restaurer et protéger 15 millions d’hectares de mangroves d’ici 2030. La COP30 a également vu le lancement du Breakthrough dédié aux marais salés (Saltmarsh Breakthrough) et l’annonce d’un nouveau partenariat entre l’ONUDI et Ocean Conservancy pour soutenir le déploiement d’énergies renouvelables fondées sur l’océan responsables à des fins productives dans l’hémisphère Sud faisant ainsi progresser le Ocean Renewable Energy Breakthrough.
Perspectives : réaliser notre ambition mondiale pour l’océan et le climat
Le chemin vers l’objectif de 1,5 °C reste semé d’incertitudes – particulièrement en ce qui concerne la sortie des énergies fossiles et la mobilisation urgente des financements nécessaires. Toutefois, en matière d’action océan-climat, la communauté internationale dispose désormais d’étapes claires et concrètes à mettre en œuvre d’ici 2028, avant le prochain Bilan mondial. D’un côté, le Blue NDC Implementation Taskforce aura pour objectif de maintenir la volonté politique, et de l’autre le Blue Package pourra catalyser l’action de la société civile.
La COP31, malgré sa configuration inhabituelle, pourrait offrir une occasion d’élever encore davantage l’océan dans l’agenda climatique. Elle sera accueillie par la Turquie dans la ville côtière d’Antalya, avec des négociations présidées par l’Australie et une pré-COP organisée dans le Pacifique. L’Australie a d’ailleurs exprimé depuis longtemps son ambition de mettre au premier plan les défis auxquels font face les petits États insulaires en développement du Pacifique, qui portent l’agenda océan-climat depuis des années.
Une priorité s’impose désormais : le monde doit dépasser les avancées incrémentales et opérer un changement systémique et transformateur, afin d’adresser les causes profondes des crises climatique et de la biodiversité, et non à leurs seuls symptômes. Alors qu’une véritable fatigue vis-à-vis des COP et les frustrations grandissent, il devient urgent de repenser en profondeur la manière dont l’action climatique internationale est conduite. Pour nourrir cette réflexion, la Plateforme Océan & Climat a publié de nouvelles recommandations politiques « Un changement de cap collectif pour l’océan, le climat et la biodiversité », qui proposent une voie vers une coopération internationale plus inclusive, cohérente et ambitieuse pour relever les défis à venir.
