Paris, en décembre 2015 : la communauté internationale se réunit pour tracer une trajectoire commune face à l’urgence climatique. Vingt-trois ans après le Sommet de la Terre de Rio où est adoptée la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dix ans après la ratification du Protocole de Kyoto, la COP21 marque un tournant historique. Pour la première fois, 195 États s’engagent à maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels » et poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Cette Conférence marque l’ouverture d’une nouvelle ère de coopération internationale autour d’un accord juridiquement contraignant fondé sur la science, mettant en évidence à la fois la responsabilité collective et la conviction qu’un avenir durable dépend de l’action de chacun. L’Accord de Paris reconnaît notamment le rôle stratégique de l’océan dans la régulation du climat. Dix ans plus tard, que reste-t-il de cette ambition initiale – et quel chemin reste-t-il à parcourir ?
Une décennie de progrès mesurables mais insuffisants
Dix ans après l’Accord de Paris, le monde a profondément changé : le multilatéralisme s’est fragilisé, la remise en question de la science comme fondement des décisions et la désinformation ont gagné du terrain. Malgré cela, l’Accord de Paris a permis d’infléchir une trajectoire climatique qui aurait conduit à un réchauffement supérieur à +4 °C. Les politiques adoptées depuis placent désormais le monde sur une trajectoire entre +2,3 °C et +2,8 °C à l’horizon 2100. Les signaux d’alerte se multiplient. L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent de croître et sept des neuf limites planétaires ont désormais été dépassées, notamment celle à l’acidification de l’océan, franchie récemment. Les impacts du changement climatique, tels que les événements extrêmes et l’élévation du niveau de la mer, ne sont plus des menaces à venir – ils se manifestent déjà, mettant sous pression la bonne santé des écosystèmes, ainsi que la résilience et l’avenir des communautés côtières.
Pour autant, l’Accord de Paris demeure la pierre angulaire de l’action climatique internationale. Il incarne à la fois ce qui a été accompli et la nécessité d’intensifier nos efforts pour maintenir une trajectoire compatible avec nos objectifs collectifs. Bien que les avancées réalisées restent insuffisantes au regard de l’objectif fixé à Paris, elles démontrent que les Conférences des Parties (COP) restent un instrument primordial permettant de rehausser progressivement l’ambition collective et de structurer l’action climatique. Dans ce contexte, l’océan s’est imposé comme un allié de taille.
L’intégration progressive et primordiale de l’océan au cœur de l’agenda climatique
Au cours de cette décennie, l’océan a progressivement occupé une place centrale dans l’agenda climatique international. Son inscription dans le préambule de l’Accord de Paris en 2015 constituait une première avancée, ouvrant la voie à son intégration croissante dans les négociations et à sa reconnaissance aujourd’hui comme un allié incontournable de l’action climatique.
Ces progrès reposent sur des avancées scientifiques et politiques majeures. La publication du Rapport Spécial sur l’Océan et la Cryosphère du GIEC en 2019, ainsi que le lancement de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021–2030), ont renforcé la compréhension des interactions complexes et pourtant essentielles, entre océan, climat et biodiversité, favorisant leur meilleure prise en compte dans les décisions politiques. Parallèlement, la création du Dialogue Océan et Climat lors de la COP25 (2019), et sa transformation en session annuelle à la COP26 (2020), ont permis d’ancrer durablement le nexus océan-climat au cœur des travaux de la CCNUCC. L’inclusion de l’océan dans le premier Bilan Mondial adopté par les États en 2023 à la COP28, a également marqué la reconnaissance de son rôle-clé dans la réponse mondiale nécessaire pour corriger le cap et atteindre les objectifs de long terme de l’Accord de Paris. Autant d’exemples qui démontrent que l’océan a trouvé sa place dans l’action climatique, comme le révèlent les stratégies nationales climatiques récemment révisées qui intègrent des solutions fondées sur l’océan de manière inédite, selon l’analyse de la Plateforme Océan & Climat, du World Resources Institute et d’Ocean Conservancy.
Ces avancées n’auraient pas été possibles sans la mobilisation historique d’États champions de l’océan, en particulier ceux du Pacifique, ou encore de ceux engagés dans l’initiative Because The Ocean (2016-2019). L’action de la société civile, combinée à une coopération étroite avec les gouvernements, a également joué un rôle déterminant. La création, à la COP22 en 2016, du Partenariat de Marrakech et d’un groupe dédié à l’océan et aux zones côtières et puis celle des Champions du Climat, a renforcé cette dynamique. Aujourd’hui, plus d’une centaine d’organisations non gouvernementales, d’acteurs du secteur privé, de scientifiques et de représentants des peuples autochtones et communautés locales de la communauté océan collaborent pour porter haut la voix de l’océan, réhausser l’ambition et se placent comme des moteurs de l’action océan-climat.
L’après-Belém : l’océan comme levier stratégique de coopération
Cette année, la COP30 à Belém (Brésil), présentée comme la “COP de la vérité” , devait marquer le passage des promesses à l’action. Malgré les ambitions affichées par la présidence brésilienne et son appel à une véritable collaboration multi-acteur et inter-sectorielle, les conclusions n’étaient pas à la hauteur de l’urgence d’agir. Les négociations n’ont pas permis d’aboutir à un accord explicite sur la transition hors des énergies fossiles – principale cause du changement climatique, tandis que les nouvelles stratégies nationales maintiennent encore la planète sur une trajectoire dangereuse de +2,3 à +2,5 °C.
Toutefois, la conférence a permis de franchir un seuil symbolique et opérationnel dans la place accordée à l’océan, soutenue par une visibilité politique accrue, l’élargissement du Blue NDC Challenge et son évolution en une task force dédiée à la mise en oeuvre des solutions fondées sur l’océan, ainsi que par une mobilisation exceptionnelle autour des Ocean Breakthroughs et du Blue Package. Ensemble, ces avancées témoignent de la montée en puissance de l’océan comme catalyseur d’action, malgré un contexte encore marqué par l’inertie et les tensions.
Un changement de cap pour l’océan, le climat et la biodiversité
Créée en amont de la COP21 par un collectif d’organisations de la société civile, la Plateforme Océan & Climat œuvre depuis plus de dix ans pour une meilleure compréhension et prise en compte, par les décideurs politiques et le grand public, des interactions entre l’océan, le climat et la biodiversité. Depuis 2015 et l’intégration de l’océan dans le préambule de l’Accord de Paris – une de ses premières victoires, la Plateforme Océan & Climat, forte de son réseau de 116 membres, a observé et accompagné son passage des marges jusqu’au cœur des priorités internationales à travers son travail de dissémination des connaissances scientifiques, de plaidoyer et de mobilisation.
Dix ans plus tard, le constat est clair : d’importants progrès restent à réaliser autour du nexus océan-climat-biodiversité. Dans ce contexte, la POC souligne l’urgence de dépasser les avancées incrémentales pour engager une transformation profonde des systèmes responsables du changement climatique et de la perte de biodiversité. C’est dans cet esprit qu’elle a récemment publié son plaidoyer “Un changement de cap collectif pour l’océan, le climat et la biodiversité”. Fruit d’un travail collaboratif et soutenu par 87 membres de son réseau, ce plaidoyer est porteur d’une vision claire : celle d’un futur où les décisions sont guidées par la science, les solutions mises en œuvre avec urgence, et nos systèmes profondément transformés pour enrayer le déclin de la santé de l’océan. Organisé autour de trois piliers — Comprendre, Agir, Repenser, ce plaidoyer trace une voie vers un océan sain et résilient d’ici 2030, en appelant à une action cohérente, inclusive et ambitieuse. Il invite à repenser notre rapport à l’océan — sa gouvernance, sa valorisation et nos interactions avec lui — en rappelant que la transition écologique dépasse la seule réduction des émissions et nécessite de renouer un lien durable de respect avec la nature.
Ainsi, dix ans après l’Accord de Paris, la trajectoire vers l’objectif de 1,5 °C reste étroite et exige une intensification rapide des efforts. Malgré les critiques et incertitudes qui pèsent sur la portée et l’importance des COPs et des financements encore amplement insuffisants, la communauté internationale de cadres solides pour accélérer l’action climatique. Comme le démontrent la création de la Blue NDC Implementation Taskforce et la dynamique impulsée par les Ocean Breakthroughs, l’océan est un moteur de coopération internationale et un allié puissant pour atteindre les objectifs globaux en matière de climat, biodiversité et développement durable. À cinq ans de l’échéance 2030, l’heure n’est plus à l’hésitation, mais à la transformation. Les années à venir peuvent encore infléchir notre trajectoire collective si volonté politique, coopération et mise en œuvre se conjuguent enfin.
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