
Dossier thématique
Recomposition spatiale : Préparer les villes côtières à l’élévation du niveau de la mer
D’ici 2100, le niveau de la mer pourrait s’élever de plus d’un mètre sans réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre, selon le dernier rapport du GIEC. Cette moyenne mondiale englobe des réalités locales diverses et de nombreuses incertitudes demeurent quant au rythme et à l’ampleur exacte du phénomène. Alors que les villes côtières attirent une population croissante et concentrent de nombreuses activités, elles sont confrontées à l’érosion de leurs côtes, aux submersions marines, à l’intensification des événements climatiques extrêmes ou encore, à la subsidence et à la salinisation des sols. Une chose est certaine : elles doivent s’adapter immédiatement et durablement.
Plusieurs solutions d’adaptation sont possibles et peuvent être combinées dans l’espace et dans le temps pour répondre aux besoins locaux : protections dures et douces, accommodation, solutions fondées sur la nature, ou encore, la relocalisation. Aussi connue sous le terme de recomposition spatiale, cette stratégie bien que complexe à mettre en œuvre, sera parfois inévitable. Contrairement à une gestion d’urgence, elle se définit comme un effort anticipé et planifié pour déplacer de manière permanente les personnes, leurs activités et les infrastructures hors des zones exposées aux risques côtiers.
Pour mieux anticiper, concevoir et mettre en œuvre cette stratégie d’adaptation, il est essentiel de faire évoluer les narratifs et d’œuvrer à la compréhension des enjeux et des méthodologies qui peuvent accompagner son déploiement.
Dans cette perspective, la Plateforme Océan & Climat, dans le cadre de son projet Sea’ties, publie un tout nouveau dossier thématique, intitulé, « Recomposition spatiale : Préparer les villes côtières à l’élévation du niveau de la mer« . À l’attention des décideurs politiques et des acteurs clés impliqués dans la transition des littoraux et influençant l’opinion publique, ce dossier thématique propose une définition approfondie de la recomposition spatiale et des méthodes pour la mettre en œuvre à la lumière de paroles d’experts et d’acteurs de terrain.
Les cinq témoignages ci-dessous extraits du dossier thématique, montrent que si le chemin de la recomposition spatiale est encore difficile à tracer, il n’est pas impossible et peut même être une opportunité de transformer profondément et durablement les territoires au bénéfice des sociétés et de la biodiversité.
Témoignages :
La recomposition spatiale à travers le monde
Une réponse anticipée pour mettre en sécurité
La recomposition spatiale n’est ni une réponse de dernier recours, ni un échec de l’adaptation. Elle est une stratégie d’adaptation qu’il est nécessaire d’anticiper pour sécuriser les populations. Face aux coûts économiques, sociaux et environnementaux pour maintenir les infrastructures et les populations en zones à risque, la recomposition spatiale s’avère parfois plus judicieuse dans le temps. Elle l’est déjà dans plusieurs territoires comme à Saint Louis au Sénégal ; c’est à travers cet exemple que l’on comprend pourquoi anticiper est primordial pour éviter les relocalisations d’urgence qui, bien souvent, aboutissent à des cas de maladaptation. Pourtant, le témoignage de Al Hassane Loum, responsable à l’Agence de développement communal de Saint-Louis, montre que la relocalisation ne s’arrête pas au simple déplacement : elle est un projet continu qui se construit au quotidien avec les communautés.
À Saint-Louis du Sénégal,
reloger durablement après l’urgence
Face à l’océan Atlantique, la langue de Barbarie – une longue bande de sable d’une trentaine de kilomètres, bouclier pour une partie de la ville de Saint-Louis du Sénégal – est particulièrement exposée aux risques climatiques, d’érosion et de submersion marines.
En 2017, alors qu’un grand projet prévu sur 5 ans est en préparation avec la Banque Mondiale pour mettre en place une stratégie d’adaptation et de résilience de la ville, un raz de marée dévastateur bouscule tout. L’urgence est là : tout un quartier de pêcheurs est menacé. Certaines habitations sont totalement détruites – près de 1500 personnes sont immédiatement déplacées et abritées sous des tentes dans des conditions précaires – et il faut convaincre les autres qu’elles devront partir rapidement. Une bande de 4,5 kilomètres de long et de 20 mètres de large, est délimitée : les maisons seront détruites et des aménagements envisagés pour lutter contre l’avancée de la mer.
Un traumatisme pour les familles qui doivent non seulement faire le deuil de leur ancienne vie mais aussi faire confiance aux promesses de relogement. « Nous avons mené une enquête pour essayer de mesurer l’acceptabilité », raconte Al Hassane Loum, responsable à l’Agence de développement communal de Saint-Louis (ADC) et enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. « Devant l’urgence, 90% des familles ont accepté d’être relogées. Mais elles n’avaient pas le choix. On parle d’ailleurs de relogement involontaire », poursuit-il.
« Nous avons vite compris que nous allions devoir leur proposer des logements améliorés par rapport à ce qu’ils avaient auparavant. Les architectes ont présenté des modèles d’habitation qu’ils ont fait évoluer jusqu’à ce qu’ils emportent l’adhésion », poursuit l’universitaire. Il a également fallu faire des ajustements : « Le principe de base du relogement c’était, “pour une maison détruite, une maison reconstruite”, mais, aux vues de la densité très forte sur le site d’origine, on a augmenté le nombre de maisons à construire. Un soin particulier a également été apporté au cadre de vie : permettre que les anciens voisins qui le souhaitent puissent se retrouver, qu’il y ait bien sûr des écoles, un centre de santé, des routes, des lopins de maraîchage … ».
L’avantage à Saint Louis est qu’il existe une Agence de développement communal spécialisée dans les questions liées à l’ingénierie sociale et une Agence régionale de développement qui pilote et coordonne toutes les actions liées à l’intercommunalité. « Ce sont ces deux agences qui se chargent de trouver les bons canaux de communication auprès de la population de la commune de Saint-Louis et des autres communes du département : réunions, films, rencontres… Ils sont bien rôdés », souligne Al Hassane Loum.
Cela ne pourra de toute façon se faire que pas à pas, très progressivement.
Al Hassane Loum
« En attendant que tous les logements soient prêts, une digue provisoire dans le cadre du projet de protection côtière de Saint-Louis a été construite conduisant certains habitants à penser que leur ancienne maison était désormais sécurisée et qu’ils n’auraient finalement pas à déménager ». Expliquer, encore et toujours. Reste la prochaine étape : anticiper la suite pour 2050, voire, 2100. À cette échéance, toute la ville de Saint Louis pourrait être menacée.
« Mais là encore si l’on veut avertir et convaincre les populations il faut avoir tous les éléments en main à commencer par les données scientifiques, les simulations, les modélisations pour pouvoir expliquer, emporter l’adhésion. Cela ne pourra de toute façon se faire que pas à pas, très progressivement. Le travail est loin d’être achevé »🟡
Une opportunité pour repenser collectivement les villes côtières
Au-delà de sécuriser les biens et les populations, la recomposition spatiale est un projet de territoire qui peut impulser des transformations sociales, économiques, institutionnelles et environnementales. Il ne s’agit pas de transposer à l’intérieur des terres ce qui existait sur le littoral. Souvent, cette démarche ouvre la voie à des débats sociétaux et environnementaux plus larges. La recomposition spatiale offre ainsi l’opportunité de dessiner collectivement un futur plus désirable pour les villes côtières. Les cas de Petit-Bourg en Guadeloupe et du Prêcheur en Martinique, illustrent qu’il est pour cela indispensable d’engager les habitants et l’ensemble des acteurs concernés pour assurer l’adhésion à ces transformations du territoire qui bousculent les modes de vie et les histoires individuelles et collectives.
En Guadeloupe et en Martinique, dialoguer avec les populations en amont de toute relocalisation
En Guadeloupe comme en Martinique, les risques liés au recul du trait de côte et à l’effondrement des falaises sont désormais bien connus. C’est le cas pour deux communes : Petit Bourg en Guadeloupe et le Prêcheur en Martinique. Sur chacune des îles, des projets pilotes de relogement ont donc été engagés pour mettre en sécurité les populations.
Des projets nécessairement différents mais similaires sur au moins un point : l’idée qu’il est indispensable d’associer le plus largement possible les habitants concernés. En anticipant d’abord, en expliquant et discutant ensuite.
À Petit Bourg, les études ont montré, notamment en raison des coûts, qu’il valait mieux déconstruire plutôt que de conforter la falaise afin de maintenir les habitations menacées. Les analyses de terrain ont permis d’établir qu’environ 80 maisons étaient implantées en Zone de Menace Grave pour les Vies Humaines, dont 40 occupées par des familles. « La période de co-construction avec les habitants a été primordiale », souligne Virginie Bonot, directrice de l’Aménagement et des Projets Structurants de la Commune de Petit-Bourg.
« Dans une première phase, nous avons organisé des réunions publiques qui rassemblaient à chaque fois toute l’équipe du projet : représentants et techniciens de la ville, de l’État et de l’Agence des 50 Pas Géométriques, ingénieurs du BRGM. Mais aussi, deux personnes de la Maîtrise d’OEuvre Urbaine et Sociale (MOUS) qui ont joué un rôle essentiel dans la deuxième phase de rencontres individuelles avec les familles », poursuit la responsable communale. « Ces deux personnes de la MOUS ont fait le lien entre l’équipe projet et les familles pour collecter des documents, les informer de la programmation d’une rencontre ou encore des avancées du projet. Tous les habitants pouvaient les joindre directement par téléphone. Nous avons la chance que ces interlocuteurs soient présents depuis le début de l’opération, soit près de 5 ans ! », poursuit Virginie Bonot. Une telle proximité a permis de désamorcer les éventuels conflits, de rassurer chaque fois que cela était nécessaire, d’instaurer un climat de confiance.
On ne pouvait répondre à ce projet qu’en impliquant dès le départ la population
Antoine Petitjean
À quelques 200 km de là, dans la commune du Prêcheur en Martinique, l’enjeu est double pour des habitants pris en tenaille entre les risques venant de la mer et ceux du volcan. La menace des « lahars », ces coulées torrentielles qui dévalent les pentes des volcans, et formées d’une boue très concentrée de débris volcaniques est bien connue des habitants.
« Nous allons reconstruire une école qui servira également d’abri pour les habitants et des nouvelles habitations pour ceux qu’il faut déplacer », explique l’architecte urbaniste Antoine Petitjean, en charge du projet.
Un projet qui se veut exemplaire pour l’Outre-Mer, offrant des habitations attractives. « On ne pouvait répondre à ce projet qu’en impliquant dès le départ la population », poursuit l’architecte, notamment pour choisir le type de matériaux de construction pour les futures habitations : bois, bambous, gabions ou terre crue, bio-sourcés et locaux, en plus de procédés industriels innovants. « Durant plus d’un an, entre 2019 et 2020, nous avons organisé des réunions de quinze jours tous les deux mois. Nous avons mis en place des interfaces pour les agriculteurs, les actifs et les retraités, les scolaires, nous avons élaboré un atlas des modes de vie consistant à faire des relevés dans les maisons « autoconstruites » pour bien comprendre ce qui était essentiel pour les habitants et ce qu’il fallait impérativement reproduire dans le nouveau quartier ».
Persuader les habitants de la nécessité d’être relocalisés n’a pas été le plus difficile : les lahars de 2018 les ont convaincus de s’éloigner du littoral en gagnant les mornes.
« Entre la mobilisation organisée auprès des habitants et l’espoir que le projet suscite désormais, il s’est écoulé 6 ans », souligne Antoine Petitjean. Reste que tous les problèmes ne sont pas résolus. En Martinique où presque tout est prêt sur le plan technique pour lancer la première phase des travaux, le top départ tarde à venir par manque de soutien institutionnel et réglementaire du projet. « Or, à trop attendre, on risque de saper la confiance, surtout si une catastrophe intervient d’ici là. » s’inquiète Antoine Petitjean.
Du côté de la Guadeloupe, alors que 31 familles sur 40 ont déjà été relogée et ont pu accéder à la propriété de leur nouvelle maison, quatre y sont totalement opposées. Sans parler d’une rumeur qui circule à bas bruit : et si les communes avaient délocalisé pour récupérer les terrains et construire un hôtel face à la mer ? Virginie Bonot n’a pas lâché son bâton de pèlerin : « On va organiser des ateliers pour consulter sur l’idée de jardins partagés, la création d’un espace de mémoire, la plantation de mangroves… ».
Finalement, les projets de relogement au Prêcheur et à Petit-Bourg montrent une chose essentielle : il ne suffit pas de mettre en sécurité les populations, dialoguer et être à l’écoute de leurs besoins est indispensable🟡
Coordonner les acteurs et les territoires autour de la recomposition spatiale
L’exposition aux riques est le premier critère pour identifier et prioriser les lieux de relocalisation. Une fois ces vulnérabilités cartographiées, le choix des réponses à y apporter nécessite de comparer leurs coûts et bénéfices tant sociaux, économiques, qu’environnementaux à court, moyen et long termes. En ce qui concerne les lieux de destination, si privilégier la proximité d’une même ville est souvent préférable, cela n’est pas toujours faisable. Dans tous les cas, la relocalisation des biens et des populations bouleverse bien souvent les connexions entre les territoires et mobilise de nombreux acteurs à différents niveaux de gouvernance.
Le témoignage de Gaël Perrochon, du Groupement d’Intérêt Public (GIP) Littoral de Nouvelle-Aquitaine en France, illustre l’importance de coordonner toutes les échelles géographiques et de gouvernance — du quartier à la municipalité, en passant par l’intercommunalité, la région et jusqu’aux États. Cette coordination est essentielle pour assurer la cohérence des politiques et dépasser les initiatives fragmentées dans l’aménagement du littoral.
En Nouvelle Aquitaine, la recomposition spatiale se pense collectivement
Avec une façade de 970 kilomètres sur l’Atlantique, la région Nouvelle Aquitaine dans le sud-ouest de la France, est aux avant-postes des risques liés à la hausse du niveau de la mer. En 2006, un Groupement d’Intérêt Public (GIP) Littoral* qui regroupe l’État, la région, les départements et les intercommunalités, a été créé pour accompagner de façon cohérente tous les territoires de la région soucieux de mettre en place des solutions d’adaptation aux risques de submersion et d’érosion.
« Aujourd’hui, il existe 13 stratégies locales de gestion de la bande côtière et le GIP fonctionne comme une boîte à outils qui produit des éléments de connaissances et surtout qui accompagne les collectivités locales dans la mise en place de leur politique publique », explique Gaël Perrochon, chargé de mission, au sein du GIP. « Nous travaillons sur des stratégies liées à la gestion du risque mais aussi des projets d’aménagement durable pour les plages ou les stations balnéaires ».
« Nous nous assurons également que les modes de gestion proposés correspondent bien à l’objectif du territoire et soient en cohérence avec la stratégie régionale adoptée en 2012 », souligne-t-il. « Exemple : il n’y aurait pas d’intérêt à construire un nouvel ouvrage sur le littoral pour protéger un enjeu isolé, comme un camping, pour lequel une relocalisation est programmée ». L’intérêt du GIP est de proposer une méthode de travail validée qui s’appuie sur un diagnostic et un suivi des projets locaux, ce qui permet d’ailleurs aux élus de justifier auprès des citoyens, les choix effectués. Une fois le programme d’actions approuvé, les porteurs de stratégies locales peuvent bénéficier de financements pour la réalisation des actions.
*Les membres du GIP sont : l’État, le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, les quatre départements de la région (Charente-maritime, Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantique) et les 16 intercommunalités.
Jusqu’à présent, l’essentiel des travaux a été effectué sur du foncier communal. Les marges de manœuvre étaient facilitées [...] Face aux risques de contencieux à venir, les villes ne disposent pas des moyens nécessaires pour mettre en œuvre la recomposition spatiale.
Gaël Perrochon
Lacanau est une des toutes premières communes à avoir élaboré une stratégie de gestion de la bande côtière pour lutter contre l’érosion. Elle a d’ailleurs valeur d’expérimentation au niveau national et est accompagnée par un projet de réaménagement de la station balnéaire. Les premières et secondes phases de la stratégie prévoient d’abord un confortement de l’ouvrage existant le long de la côte, avec une opération de rechargement en sable, puis une élévation du niveau d’enrochement d’ici à 2050.
Mais la commune va bien au-delà. « Dès 2017, elle a déterminé un périmètre de vulnérabilité dans son Plan Local d’Urbanisme pour encadrer l’urbanisation et a limité la capacité d’accueil des bâtiments qui s’y trouvent », explique Gaël Perrochon. La circulation de la ville a également été repensée et l’artère principale, qui mène à la plage, reconfigurée, afin de recentrer les commerces tout en redonnant sa place à la nature sur le front de mer. Aussi, la commune travaille sur différents horizons temporels et s’est engagée dans une étude de faisabilité de la recomposition.
« Jusqu’à présent, l’essentiel des travaux a été effectué sur du foncier communal. Les marges de manoeuvre opérationnelles étaient facilitées », souligne Gaël Perrochon. Mais pour beaucoup de communes, la réalisation des stratégies et des projets d’aménagement se compliquent sérieusement lorsqu’elles impliquent l’acquisition foncière de biens privés.
La Loi Climat et Résilience a apporté un début de réponse avec la mise à disposition d’outils (décote des biens, Bail Réel d’Adaptation à l’Érosion Côtière..) pour permettre l’adaptation des territoires. « Néanmoins, ces outils ne sont pas mobilisables en l’état car ils ne sont pas financés, et les villes ne disposent pas des moyens nécessaires pour mettre en oeuvre la recomposition spatiale. Face aux risques de contentieux à venir, elles auront à se renforcer sur le plan juridique », conclut le chargé de mission. Un appel à ce
que l’État se saisisse de ces questions pour accompagner les communes🟡
Accompagner pas à pas la recomposition spatiale dans le temps
Adapter les villes côtières à l’élévation du niveau de la mer implique de naviguer dans un contexte d’incertitudes multiples à la fois climatiques, mais aussi liées aux évolutions de nos sociétés. Bien qu’inévitables, ces incertitudes s’accordent difficilement avec le temps politique. Pour relever ce défi, des chercheurs à l’image d’Hélène Rey Valette, enseignante-chercheuse à l’Université de Montpellier en France, préconisent une approche dynamique, basée sur la conception de trajectoires d’adaptation. Cette méthode permet d’envisager les transformations profondes, comme les stratégies de recomposition spatiale. Dans ce cadre, la recomposition spatiale s’envisage de manière échelonnée dans le temps, en progressant par étapes vers des relocalisations d’envergures, grâce à des politiques transitoires et d’accompagnement.
Construire le chemin vers la recomposition spatiale
Les très fortes variabilités du changement climatique imposent de s’adapter, notamment le long des côtes. « Nous devons penser les relocalisations des populations en construisant des trajectoires d’adaptation », explique l’économiste Hélène Rey Valette, maître de conférences à l’université de Montpellier et spécialiste des questions de recomposition spatiale. Cela suppose d’établir une chronologie de ce qui doit être entrepris, un itinéraire pour atteindre un objectif final d’adaptation de territoire, même s’il n’est pas précisément daté. « Les premières mesures peuvent se traduire par la restructuration du foncier public, les parkings par exemple, puis on s’intéressera à la mobilité et enfin, on ira progressivement vers le rachat des maisons ».
La vitesse à laquelle les projets vont être menés dépend fortement du niveau de vulnérabilité. C’est tout l’enjeu de la trajectoire : « Il y a par exemple, des bâtiments dont la destruction peut attendre une dizaine ou une vingtaine d’années », explique Hélène Rey Valette, mais durant cette période il faut tout de même assurer un minimum de protection. « Ce qui est certain, c’est que désormais l’État ou les collectivités territoriales n’accepteront d’aider les communes à construire une digue, un cordon d’enrochement ou à recharger les plages en sable, qu’à condition que la relocalisation des bâtiments est bel et bien programmée à terme ».
C’est très compliqué « en particulier pour les élus locaux », poursuit la chercheuse, mais aussi pour les habitants. « Nous n’avons pas l’habitude de penser à 30, 40 ou 50 ans ». Il est difficile de s’inscrire dans une logique de transition faite de petits aménagements qui s’ajoutent pour, à long terme, aboutir à l’objectif final souhaité. D’autant qu’un projet sur plusieurs dizaines d’années ne peut pas être inscrit dans le marbre, il évoluera nécessairement au fil des ans. « Il faut penser ces itinéraires comme des poupées russes, avec des mesures qui vont s’emboîter dans le temps ».
Nous devons penser les relocalisations des populations en construisant des trajectoires d’adaptation.
Hélène Rey Valette
L’une des priorités pour ces régions côtières va être de repenser le tourisme et son mode de financement qui doit être conditionné aux itinéraires établis. L’enjeu est également considérable pour le marché de l’immobilier. « Les prix vont sans doute baisser en certains endroits, mais il ne faut pas qu’ils s’effondrent », souligne Hélène Rey Valette. Ici, la question immobilière doit être abordée de façon inter-générationnelle : il n’est pas forcément souhaitable de faire bouger les personnes âgées mais il faut déjà préparer leurs descendants, leur expliquer qu’ils ne pourront pas récupérer la maison.
« On manque souvent d’imagination collective », estime Hélène Rey Valette, « pour autant, je crois que l’on est sur la bonne voie. Il y a quinze ans, lorsqu’on parlait de repli stratégique, nous n’étions pas écoutés. Aujourd’hui les choses ont beaucoup évolué. On est sur la pente ascendante », assure-t-elle. Pour cela, pas question de faire des études prospectives dans la continuité du passé « Nous devons construire des nouveaux modèles qui nous permettent d’anticiper. Nous devons inventer une nouvelle action publique »🟡
La justice sociale, au coeur des enjeux de recomposition la spatiale
Derrière chaque relocalisation, la question de la justice sociale est primordiale. Entre urgences et anticipations, il est parfois difficile de garantir l’équité, particulièrement quand les inégalités préexistent à ces politiques d’adaptation. Aux Etats-Unis, les exemples de l’île de Jean-Charles en Louisiane ou Grand Forks dans le Dakota du Nord, soulignent à quel point les relocalisations sont souvent révélatrices des inégalités préexistantes de pouvoir et de richesse, et peuvent les aggraver.
L’entretien de A.R. Siders, chercheuse à l’Université du Delaware aux Etats-Unis, nous plonge au cœur de ces enjeux, soulignant l’importance de reconnaître et corriger ces dynamiques pour assurer la justice et la durabilité des politiques de recomposition spatiale.
Aux États-Unis, comme ailleurs, la recomposition spatiale est avant tout une question de justice sociale
Partout dans le monde, des populations sont déplacées parce qu’elles vivent dans des zones à risques, le long des côtes. Que ce soit dans l’urgence ou, encore trop rarement, par anticipation, ces personnes doivent être relogées. L’idée de justice sociale imprègnent-elle ces programmes de relogement ? « Il y a beaucoup plus d’exemples sans justice sociale que le contraire », estime A.R. Siders, professeure associée à l’Université du Delaware aux États-Unis, mais les choses avancent. Si la relocalisation peut créer des situations d’injustice, elle n’en est pas nécessairement la source. Elle n’est parfois que le révélateur d’inégalités préexistantes.
Sur l’île de Jean-Charles, au large de la Louisiane, le déplacement d’une communauté amérindienne avait pourtant été organisé en bonne et due forme pour faire face à une montée des eaux aggravée par la proximité d’exploitations pétrolières. Mais ces communautés, n’ayant pas bénéficié du statut de tribu accordé par le gouvernement fédéral, n’ont pas pu obtenir le droit d’être relogées dans une nouvelle ville qui leur aurait été réservée. « Dans ce cas précis, le manque de justice sociale est bien antérieur à cette question de relocalisation tout en interférant directement », explique A.R. Siders.
C’est ce qui se passe également lorsqu’on dédommage les personnes devant être déplacées, sans les aider dans leurs démarches pour trouver une nouvelle maison. Ce n’est pas un problème pour les familles à l’aise financièrement, ça le devient immédiatement pour les personnes à faibles revenus. « Là encore, la relocalisation ne fait que révéler une injustice sociale existante ».
La relocalisation ne fait que révéler une injustice sociale existante. [...] Nous devons tirer les leçons des opérations de relocalisation passées.
A.R. Siders
Autre lieu, autre cas. Un programme de relocalisation organisé à Grand Forks dans le Dakota du Nord aux États-Unis proposait bien des nouveaux logements mais il a tourné court, « car ces maisons étaient deux à trois fois plus chères que celles occupées précédemment. Les personnes ne pouvaient tout simplement pas payer », souligne la chercheuse.
La plupart du temps, les personnes en charge des programmes font vraiment tout ce qu’elles peuvent pour aider, mais elles sont bloquées, faute de budget adéquat.
L’objectif est donc d’anticiper. Dans beaucoup d’endroits on sait précisément ce qu’il risque d’advenir dans 20 ou 30 ans. Pourtant, rien n’est fait jusqu’à ce que la catastrophe arrive. « Juste après un désastre, les familles sont traumatisées, dans un grand état de stress, elles ont parfois tout perdu et elles doivent en plus prendre la décision de déménager. Ce n’est vraiment pas satisfaisant. Il faut absolument penser le long terme », souligne l’experte. « Si on favorisait les relocalisations au gré des évolutions de la vie, des changements d’emplois, du passage à la retraite, de l’envie de bénéficier d’une météo plus clémente… Les déplacements se feraient plus en douceur ». Il est évidemment plus aisé d’aider régulièrement des petits groupes de personnes à déménager que de le faire, d’un coup d’un seul, pour toute une communauté.
« Si l’on reprend l’exemple de Grand Forks, l’idée de construire des maisons était bonne. Mais, faute d’avoir pensé à qui elles étaient destinées, cela n’a pas fonctionné », commente encore A.R. Siders. « Nous devons tirer les leçons de ces opérations passées », poursuit-elle. Apprendre des échecs donc, pour mieux planifier les recompositions spatiales à venir🟡
Autrice : Marielle Court
Infographies du dossier thématique
Pour aller plus loin ...
Ressources de la Plateforme Océan & Climat
- Plateforme Océan & Climat. (2023). Recommandations politiques pour adapter les villes côtières à l’élévation du niveau de la mer. Initiative Sea’ties. 28 pages.
https://bit.ly/recommandations_adapter_villes_cotieres_elevation_mer - Plateforme Océan & Climat (2021). Sixième rapport du GIEC : élévation du niveau de la mer, impacts, vulnérabilités et adaptation. [Vidéo]. https://youtu.be/IeeHU87SRyE
- Plateforme Océan & Climat. (s.d.). Seaties. Plateforme Océan & Climat. https://ocean-climate.org/seaties/
Rapports, guides et conférences
- « Agir Autrement », Guide pour co-construire des trajectoires d’adaptation des territoires littoraux
Rey-Valette H., Richard A., Perrochon G., Michel L., Bawedin V., Geneau E., Boschet C., Heurtefeux H., Robert S., Iziquel Y. André C. Brière C., Lanzellotti P., Bongarts T. Richard-Ferroudji A., d’Anglejan E., Costa S. Cabrit A., Crespy C., Renard M., Piquemal R., d’Artigues A., Hue J.D., 2025. « Agir Autrement » Guide pour co-construire des trajectoires d’adaptation des territoires littoraux. Rapport Projet Trajectoires Fondations de France, 142 p. https://www.cee-m.fr/wp-content/uploads/2025/02/AGIR-AUTREMENT.pdf
- Guide méthodologique de l’Ademe pour construire des trajectoires d’adaptation au changement climatique de territoires
Ademe. (2019). Guide méthodologique : Construire des trajectoires d’adaptation au changement climatique du territoire. 979-10-297-1186-2. https://librairie.ademe.fr/changement-climatique/1165-construire-des-trajectoires-d-adaptation-au-changement-climatique-du-territoire.html
- Guide de la Nouvelle Zélande pour les gouvernements locaux pour s’adapter de façon dynamique aux aléas côtiers et au changement climatique (en anglais)
New Zealand Government, Ministry for the Environment. (2024). Coastal Hazards and Climate Change: Guidance for Local Government. 978-1-98-852535-8 https://environment.govt.nz/assets/publications/Files/coastal-hazards-guide-final.pdf
- Série de webinaires PEERS sur les trajectoires d’adaptation et retours d’expériences (en anglais)
PEERS. (2022). Adaptation Pathways in Action: Creating Resilience to Sea Level Rise from Uncertainty at the Local Government Level in New Zealand. https://peerscoastal.org/get-involved/adaptation-pathways
Rapports du GIEC
- Glavovic, B.C., R. Dawson, W. Chow, M. Garschagen, M. Haasnoot, C. Singh, and A. Thomas, 2022: Cross-Chapter Paper 2: Cities and Settlements by the Sea. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp.2163–2194, doi:10.1017/9781009325844.019.
Articles scientifiques
- Brière, C., & Haasnoot, M. (2020). Gestion des risques littoraux et trajectoires d’adaptation par méthode DAPP. Keynote, JNGC 2020, 847-858. https://doi.org/10.5150/jngcgc.2020.092
- Haasnoot, M., Di Fant, V., Kwakkel, J., & Lawrence, J. (2024). Lessons from a decade of adaptive pathways studies for climate adaptation. Global Environmental Change, 88, 102907. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2024.102907
- Haasnoot, M., Kwakkel, J. H., Walker, W. E., & ter Maat, J. (2013). Dynamic adaptive policy pathways: A method for crafting robust decisions for a deeply uncertain world. Global Environmental Change, 23(2), 485-498. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2012.12.006
- Haasnoot, M., Lawrence, J., Magnan, A.K. (2021). Pathways to coastal retreat. Science, 372, 1287-1290. https://doi.org/10.1126/science.abi6594
- Mach, K. J., & Siders, A. R. (2021). Reframing strategic, managed retreat for transformative climate adaptation. Science, 372, 1294-1299. https://doi.org/10.1126/science.abh1894
- Rey-Valette H., Richard A., Michel L., Richard Ferroudji A., Heurtefeux H., Lecha V., Barral M., Cabrit A., Netter S. Lanzellotti P. (2024), « Retour sur la co-construction de stratégies de recomposition spatiale. Le cas de l’Occitanie (France) », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], vol. 24, n°1, mis en ligne le 04 avril 2024, consulté le 20 mai 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/42990.
- Siders, A. R., Ajibade, I., & Casagrande, D. (2021). Transformative potential of managed retreat as climate adaptation. Current Opinion in Environmental Sustainability, 50, 272-280. https://doi.org/10.1016/j.cosust.2021.06.007
Autrices : Sarah Palazot, Tess Segonds