Berceau de la biodiversité marine et intérêts économiques

Les récifs coralliens comptent avec les forêts tropicales parmi les écosystèmes les plus diversifiés et productifs de notre planète. Bien que distribués sur une surface restreinte équivalente à moins de 0.2% de la surface totale occupée par les fonds marins, ces écosystèmes abritent à ce jour plus de 100 000 espèces animales et végétales, dont 4000 espèces de poissons et 800 espèces de coraux (1). Cette incroyable diversité repose sur la symbiose établie par le corail avec des algues photosynthétiques (i.e. zooxanthelles) : les cellules de l’hôte corallien hébergent les zooxanthelles, qui lui fournissent en retour un apport quotidien de nutriments. Les zooxanthelles confèrent ainsi au corail la capacité de croître dans des environnements pauvres en éléments nutritifs et de former d’importants récifs calcaires garantissant un milieu de vie propice au développement de plus d’un tiers de la faune marine mondiale.

Au-delà du patrimoine écologique que représentent ces écosystèmes, les dernières estimations suggèrent que les récifs fournissent plus de 375$ milliards de biens et services à l’humanité (2), via l’industrie de la pêche (9-12% des pêcheries mondiales dépendent des récifs), la protection des côtes face à l’érosion et aux évènements météorologiques extrêmes, la culture ainsi que le tourisme et les loisirs et la production de molécules d’intérêt pharmaceutique. La survie de plus de 500 millions de personnes à travers le monde est étroitement liée à des récifs sains, incluant un nombre considérable de citoyens résidant dans les pays du sud (3).

 

Une biodiversité menacée

Malgré leur importance écologique et économique, les récifs coralliens sont aujourd’hui menacés par divers facteurs de stress globaux d’origine humaine tels que l’augmentation de la température des océans et l’acidification du milieu marin (résultant du changement climatique) ainsi que par des impacts locaux dont la pollution (en nutriments, substances chimiques, macro-et micro-déchets), l’urbanisation, le tourisme de masse, mais également la surpêche et surexploitation des ressources ainsi que les maladies coralliennes et la prolifération d’espèces corallivores (4). Ces facteurs de stress, agissant bien souvent en synergie, peuvent entrainer un phénomène que l’on nomme « blanchissement » corallien et qui se traduit par une décoloration de l’animal suite à la perte des pigments des algues ou à l’expulsion de ces dernières (5). Selon la fréquence et/ou la durée du stress, on assiste à la mort du corail et dans certains cas au recouvrement de son squelette par des macro-algues.

Depuis les années 1980, des évènements de blanchissement majeurs ont été répertoriés à travers les océans du globe, provoquant des mortalités massives de colonies coralliennes (6). La mortalité des coraux engendre des conséquences insoupçonnées au niveau de l’écosystème récifal et de la biodiversité qui lui est associée. Inversement, les perturbations humaines peuvent affecter des fonctions clés de l’écosystème corallien, et porter atteinte à d’autres organismes au sein du récif – conduisant à terme à la mort du corail. Les impacts sur la biodiversité des récifs s’observent ainsi à différentes échelles du vivant : de l’échelle des communautés à celle de l’individu, (animal ou végétal), des microbes, des cellules et des gènes. De plus, le fonctionnement de ces écosystèmes, décrit par des processus clés (i.e. la dynamique des carbonates, l’herbivorie, la prédation et le cycle des nutriments) (7) ainsi que leur résilience (i.e. la capacité d’un écosystème à retrouver son état d’origine suite à une perturbation), s’en voient profondément compromises. Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons deux exemples illustrant l’impact de l’homme sur la biodiversité associée aux récifs.

 

Impact du changement climatique sur les recrues coralliennes

Face au réchauffement global, de nombreuses espèces terrestres et marines se déplacent en direction des pôles, s’évadent en altitude ou migrent en profondeur. Le changement climatique influence ainsi l’aire de répartition de ces espèces, affectant à terme la structure et la taille des populations. Une étude récente relève qu’en moyenne les espèces animales terrestres migrent de 17km en direction des pôles par décennie par rapport à 72km pour les espèces marines (8). Alors, qu’en est-il des organismes fixés sur le substrat tel que le corail ? Un groupe de chercheurs internationaux a récemment compilé une base de données recensant le nombre de recrues coralliennes (i.e. larves) fixées sur des tuiles (substrat permettant la fixation des larves) préalablement déployées pendant 3 à 24 mois dans 185 récifs situés en zones tropicales (31.5°S et 32.8°N) entre 1974 et 2012. Pour rappel, le recrutement corallien est un processus durant lequel les jeunes individus (i.e. larve) passent un peuplement larvaire pour former une population adulte (9). Alors que le taux de recrutement s’est vu diminué de 85% dans les latitudes < 20°, il a augmenté de 78% en régions subtropicales (latitudes > 20°) (10). Ces résultats attestent d’une diminution de la densité de recrues en régions équatoriales – comme récemment observé sur la Grande Barrière de corail (89% de déclin entre 2016 et 2018 (11)) – et d’une migration de ces dernières en direction des pôles. La capacité des larves à migrer en régions subtropicales est cependant mitigée par les conditions environnementales caractérisant ces milieux. Les zones subtropicales arborent une biomasse algale plus importante, un pH de l’eau plus faible et des conditions lumineuses atténuées – cela couplé à des atteintes humaines plus prononcées (i.e. urbanisation et industries côtières). Le challenge est grand pour les nouvelles recrues coralliennes. La persistance des récifs sera, entre autres, liée à la capacité des habitats marginaux à accueillir les futures larves, prises en étaux entre les régions subtropicales et équatoriales.

Une colonie blanchie de Montipora capitata à Kaneohe Bay (Hawaï, USA) – © Blake Ushijima

 

La surpêche affecte la diversité et la biomasse des herbivores

La surpêche et les pratiques de pêche non durables représentent des atteintes directes à la biodiversité en milieux marins. La surexploitation d’individus adultes ou n’ayant pas acquis leur maturation sexuelle, les pratiques de pêche destructrices (i.e. pêche à la dynamite, pêche au cyanure), le dragage des fonds marins, les débris, les trappes abandonnées et les mouillages sauvages mènent à l’épuisement des stocks de poissons et autres organismes associés aux récifs. Les espèces herbivores sont l’une des principales cibles des pêcheurs dans les tropiques. Ces espèces ont un rôle primordial puisqu’elles participent à la régulation et la structure des communautés récifales, et cela de différentes manières. La croissance des macroalgues sur les colonies coralliennes réduit la résilience de ces dernières en empêchant le développement des larves de coraux, en dégageant des substances chimiques toxiques pour les coraux et en inhibant les processus de photosynthèse (12,13). C’est là qu’entrent en jeux les espèces herbivores. En broutant les macro-algues envahissantes, elles maintiennent un équilibre entre les interactions algues-coraux. De plus, certaines espèces herbivores comme les poissons perroquets et les oursins représentent des agents importants de « bioérosion » (14). En contribuant à l’élimination du corail mort et en creusant directement dans la substance calcaire, ils favorisent la colonisation de nouveaux milieux pour les organismes du récif. Enfin, ces organismes produisent une quantité importante de nutriments (azote, phosphore) qui sont essentiels au développement des coraux et algues et participent activement au cycle des nutriments dans les écosystèmes récifaux (15).

Prenons un exemple concret de l’impact de la surpêche sur la biodiversité des récifs des Caraïbes. Les études soulignent une diminution de 80% de la biomasse de poissons herbivores et de larges prédateurs sur les récifs frangeant de la zone nord de l’île de la Jamaïque dans les années 1960 – et cela principalement dû à des pratiques de pêches artisanales intensives (trappes). La composition taxonomique des poissons dans cette région des Caraïbes s’en est vue également bouleversée – les larges prédateurs (i.e. requins, vivaneaux, caranx, balistes) avaient disparus et les espèces de poissons perroquets et chirurgiens arboraient des tailles réduites. La reconstitution des stocks d’herbivores dans la zone de la Jamaïque dépendait alors principalement du recrutement de larves de poissons provenant des zones récifales voisines.

Entre 1950 et 1970, les conséquences de la surexploitation des espèces de poissons herbivores et des larges prédateurs n’ont pas été directement observées. Cependant, les chercheurs ont dénoté une augmentation graduelle et marquée des populations d’oursins (Diadema antillarum) qui broutaient activement les macroalgues sur les coraux. Dépourvus de prédateurs, ces derniers ont pullulé, et particulièrement dans les zones de pêches intensives. Outre l’ouragan Allen qui a dévasté de nombreuses colonies de coraux branchus en 1980, un évènement majeur a conduit à un changement drastique des communautés récifales à travers les Caraïbes. En 1983, les populations d’oursins se sont effondrées dû à la prolifération d’un pathogène. Dépouillés de poissons herbivores puis d’oursins pour contrôler la croissance des macro-algues, les récifs ont été rapidement envahis puis dominés par ces dernières (16). Ajoutant à cela les maladies coralliennes, les pollutions marines et le changement climatique, la couverture corallienne moyenne dans les Caraïbes a chuté de 80% depuis 1980 (17).

La boucle est ainsi bouclée – la surexploitation des poissons herbivores a induit un profond déséquilibre au sein des communautés benthiques et a contribué au quasi-effondrement de l’écosystème. Le contrôle de la biomasse et de la diversité des poissons représente un enjeu majeur non seulement pour la préservation des écosystèmes marins mais pour les communautés côtières et territoires insulaires dépendant directement de leurs ressources pour leur survie.

Un pêcheur du peuple Bajo aux abords des Îles Wakatobi (Indonésie) contemple sa précieuse récolte – © Cory Richards

 

Quel futur pour les récifs coralliens ?

Ces exemples illustrent de manière très exhaustive l’impact des activités humaines sur la biodiversité associée aux récifs coralliens. Déplacement et extinction d’espèces, diminution de la diversité en organismes, sélection naturelle, prolifération des maladies coralliennes et des organismes corallivores n’en sont que quelques conséquences. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. A ce jour, un tiers des espèces de coraux sont menacées d’extinction (18), et 70 à 90% des récifs de notre planète pourraient disparaître d’ici les vingt prochaines années. Le déclin de la biodiversité marine inquiète la communauté scientifique et a déclenché une prise de conscience collective afin de préserver les récifs coralliens. De nombreuses mesures et ressources ont été mises en place afin de suivre l’évolution du changement climatique et de limiter les atteintes locales sur la biodiversité, comme la création d’aires marines protégées, la restauration de récifs et une surveillance accrue de la qualité des masses d’eau. Des solutions d’ingénierie biologique ont été proposées afin d’optimiser les colonies coralliennes en fonction des nouvelles conditions environnementales. Cependant, c’est réellement par des mesures politiques globales de réduction de notre empreinte carbone et par des actions collectives que nous pourrons, ensemble, construire un avenir dont bénéficieront les écosystèmes et générations futures.

 

Dr. Leïla Ezzat – University of California, Santa Barbara (USA)

 

Références

(1) Porter et Tougas (2001, In Encyclopedia of Biodiversity) avancent le chiffre de 93000 espèces décrites dans les récifs sur un total de 274 000 espèces marines connues.

(2) Valuing ecosystem services with efficiency, fairness and sustainability as goals. In: Daily, G. (Ed.), Nature’s Services: Societal Dependence on Natural Ecosystems. Island Press, Washington, DC, pp. 49-70.

(3) Wilkinson, C. (ed.) 2004 Status of Coral Reefs of the World: 2004. Volume 1. Australian Institute of Marine Science. Townsville, Queensland, Australia. 301 p.

(4) Birkeland, Charles. Coral reefs in the Anthropocene. In : Coral reefs in the Anthropocene. Springer, Dordrecht, 2015. p. 1-15.

(5) Kleppel G.S., Dodge R.E., Reese C.J. (1989) Changes in pigmentation associated with the bleaching of stony corals. Limnology and Oceanography 34, 1331–1335.

(6) Hughes, T. P., Anderson, K. D., Connolly, S. R., Heron, S. F., Kerry, J. T., Lough, J. M., … & Claar, D. C. (2018). Spatial and temporal patterns of mass bleaching of corals in the Anthropocene. Science, 359(6371), 80-83.

(7) Brandl, S. J., Rasher, D. B., Côté, I. M., Casey, J. M., Darling, E. S., Lefcheck, J. S., & Duffy, J. E. (2019). Coral reef ecosystem functioning: eight core processes and the role of biodiversity. Frontiers in Ecology and the Environment, 17(8), 445-454.

(8) Pecl, G. T., Araújo, M. B., Bell, J. D., Blanchard, J., Bonebrake, T. C., Chen, I. C., … & Falconi, L. (2017). Biodiversity redistribution under climate change: Impacts on ecosystems and human well-being. Science, 355(6332), eaai9214.

(9) http://reefresilience.org/fr/understanding-coral-reef-resilience/recruitment/

(10) Price, N. N., Muko, S., Legendre, L., Steneck, R., van Oppen, M. J., Albright, R., … & Gates, R. D. (2019). Global biogeography of coral recruitment: tropical decline and subtropical increase. Marine Ecology Progress Series, 621, 1-17.

(11) Hughes, T. P., Kerry, J. T., Baird, A. H., Connolly, S. R., Chase, T. J., Dietzel, A., … & Kerswell, A. (2019). Global warming impairs stock–recruitment dynamics of corals. Nature, 568(7752), 387-390.

(12) Rasher, D. B., & Hay, M. E. (2014). Competition induces allelopathy but suppresses growth and anti-herbivore defence in a chemically rich seaweed. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 281(1777), 20132615.

(13) McCook, L., Jompa, J., & Diaz-Pulido, G. (2001). Competition between corals and algae on coral reefs: a review of evidence and mechanisms. Coral reefs, 19(4), 400-417.

(14) Hoey, A. S., & Bonaldo, R. M. (Eds.). (2018). Biology of parrotfishes. CRC Press.

(15) Allgeier, J. E., Burkepile, D. E., & Layman, C. A. (2017). Animal pee in the sea: consumer‐mediated nutrient dynamics in the world’s changing oceans. Global change biology, 23(6), 2166-2178.

(16) Hughes, T. P. (1994). Catastrophes, phase shifts, and large-scale degradation of a Caribbean coral reef. Science, 265(5178), 1547-1551.

(17) Gardner, T. A., Côté, I. M., Gill, J. A., Grant, A., & Watkinson, A. R. (2003). Long-term region-wide declines in Caribbean corals. Science, 301(5635), 958-960

(18) Carpenter, K. E., Abrar, M., Aeby, G., Aronson, R. B., Banks, S., Bruckner, A., … & Edgar, G. J. (2008). One-third of reef-building corals face elevated extinction risk from climate change and local impacts. Science, 321(5888), 560-563.