Le plus large espace de la planète occupé par la vie se situe à plus de 200 m sous la surface des mers et océans, où l’obscurité est quasi totale, Ces profondeurs océaniques jouent un rôle majeur dans l’atténuation du changement climatique par la séquestration de la chaleur et du CO2 d’origine anthropique. Au réchauffement et à l’acidification progressifs des eaux profondes qui en résultent, s’ajoute l’affaiblissement de leur ventilation qui réduit la disponibilité de l’oxygène. Enfin, les modifications de la production phytoplanctonique en surface altèrent la quantité et la qualité des ressources nutritives disponibles en profondeur. Quelles seront les conséquences engendrées par ces perturbations sur ce vaste territoire encore largement inexploré? Les modèles posent le cadre et définissent les tendances à 50-80 ans mais peinent à donner des réponses sur le futur proche. Alors que les observations révèlent des changements plus rapides que les prédictions des modèles, l’adaptation des activités humaines est nécessaire au regard des risques potentiels. De multiples services écosystémiques sont liés aux échanges entre les écosystèmes des fonds marins et de la surface de l’océan. Ces écosystèmes jouent un rôle dans la séquestration à long terme du CO2 et du CH4, en piégeant ce carbone sous forme de carbonates ou de matière organique (organismes vivants, débris ou particules, composés dissous dans l’eau). L’augmentation de la température, la diminution de l’oxygène et du pH affectent la distribution des espèces et plus généralement l’ensemble du cycle des nutriments sur lequel reposent les activités économiques durables comme les pêcheries artisanales. Sans une meilleure compréhension de ces phénomènes dans l’espace et dans le temps, anticiper les effets des perturbations climatiques sur la biodiversité et les écosystèmes profonds reste très difficile, autant qu’évaluer les impacts d’activités industrielles nouvelles dont les pressions se combinent aux perturbations climatiques. Mettre en place les mesures clés de l’adaptation au changement climatique doit s’appuyer sur un effort sans précédent portant sur l’acquisition de nouvelles connaissances indispensables à l’établissement d’un cadre législatif et d’outils de gestion efficaces.
Le concept de services écosystémiques (SE) intègre les fonctions écologiques et les valeurs économiques des écosystèmes qui contribuent au bienêtre humain. Cette approche déjà utilisée pour la gestion des eaux côtières, l’est encore peu pour l’océan profond, alors qu’il représente 97 % du volume des océans. Les SE de l’océan profond englobent des services d’approvisionnement comme les pêcheries ou des agents industriels, des services de régulation comme le stockage du carbone, et des services culturels tels que l’inspiration artistique. Mais la pression sur l’océan profond s’accroît sous la forme d’activités anthropiques directes et indirectes qui s’y développent. Cette synergie des impacts est largement inconnue et le vide juridique de certaines parties de l’océan demande la plus grande précaution.
L’océan profond de 200 m jusqu’à 11 000 m, représente plus de 98 % des eaux marines en volume. L’image d’un environnement stable et homogène sur de vastes espaces, biologiquement peu actif, ne reflète en fait ni la diversité des écosystèmes profonds ni leur sensibilité aux changements climatiques. Même sur les plaines abyssales, des variations d’abondance de certaines espèces ont été attribuées aux modifications de la productivité photosynthétique à la surface de l’océan. De plus, de nombreux « hot spots », points chauds, de biodiversité et de productivité, ainsi que leurs espèces fondatrices comme les coraux profonds pourraient se révéler particulièrement vulnérables aux changements déjà observables dans les grands fonds, comme le réchauffement local ou régional des eaux profondes, leur acidification et leur désoxygénation ainsi qu’aux modifications de la circulation des masses d’eau. Cette vulnérabilité questionne notre capacité à anticiper les conséquences des changements climatiques sur des écosystèmes mal connus et les services qu’ils assurent.