L'OCÉAN PROFOND : UN ACTEUR DU CLIMAT ET DES ÉCOSYSTÈMES À PROTÉGER
La profondeur des océans est en moyenne de 4 000 mètres. 200 mètres sous la surface seulement, la lumière du soleil disparaît et il règne dans cet « océan profond » de fortes pressions et des températures beaucoup plus stables qu’en surface. Dans ces conditions la vie existe et nous découvrons un peu plus chaque jour sa diversité, sa fragilité et les services essentiels qu’elle rend à l’ensemble de la planète.
En stockant une large part du CO2 émis par les activités humaines et en absorbant la chaleur accumulée par effet de serre, l’océan ralentit le réchauffement des eaux de surface et des terres émergées. C’est grâce à cette immense masse d’eau que les modifications du climat sont encore « supportables ».
De plus, les écosystèmes des grands fonds jouent un rôle majeur dans le stockage durable du carbone, absorbé par le phytoplancton et les plantes terrestres. Les micro-organismes y servent aussi de filtre au méthane formé par cette matière fossilisée. En utilisant comme énergie le méthane, ils transforment ce gaz à effet de serre plus puissant que le CO2 en minéraux l’empêchant ainsi de remonter à la surface.
Les organismes des profondeurs océaniques sont très dépendants de ce qui se passe dans l’atmosphère et à la surface des océans. Ils dépendent largement de particules issues de la photosynthèse. La neige marine, cette pluie de matière organique qui tombe de la surface y est bien souvent la base de la chaîne alimentaire. Les eaux de surface apportent aussi leur oxygène aux abysses, lorsqu’elles plongent en profondeur au niveau des pôles.
Ainsi les modifications qui se produisent en surface, comme l’appauvrissement en oxygène ou la diminution du phytoplancton, ont des conséquences sur la vie dans les grands fonds et peuvent affecter le fonctionnement des écosystèmes. On observe déjà des changements significatifs dans les apports de nourritures à plusieurs milliers de mètres de profondeur. S’agit-il d’événements « naturels » ou des premiers signes de perturbations de l’ensemble de la colonne d’eau de la surface aux plaines abyssales ? Les séries d’observations d’à peine 15 à 25 ans sont encore trop courtes pour conclure, mais elles confirment que la biodiversité en profondeur change très vite dès que les ressources disponibles sont modifiées.
Ces écosystèmes sont donc tributaires des changements qui se déroulent actuellement sur toute la planète. Parallèlement aux modifications du climat, l’exploitation des ressources (minérales, hydrocarbures, pêche) s’étend vers les grandes profondeurs et apporte aussi son lot de perturbations de ces milieux fragiles.
Un point mérite une attention particulière. Lorsque les eaux de surface sont plus chaudes, elles se mélangent moins bien avec les eaux profondes. En réduisant la « ventilation » des profondeurs, le réchauffement réduit encore les faibles teneurs en oxygène des eaux dites « intermédiaires » (quelques centaines de mètres de profondeur) sur de larges régions de l’océan tropical. Dans les régions très productives du nord de l’océan Indien, de la côte ouest des États-Unis ou encore du Pérou, du Chili ou de Namibie, des observations montrent que les eaux privées d’oxygène s’étendent et réduisent largement les espaces habitables pour certaines espèces, comme les thons, au profit d’autres espèces comme les calamars qui en proliférant peuvent affecter tout l’écosystème.
D’autres modifications plus subtiles peuvent avoir des conséquences radicales sur les écosystèmes. L’augmentation de la température de l’eau, même d’un dixième de degré tous les 10 ans dans certaines régions polaires, permet à certains crabes prédateurs d’étendre leur territoire et de décimer des espèces protégées jusqu’alors par des eaux très froides (-1,5 °C).
Dans d’autres régions, ce sont les effets de l’acidification des eaux, ayant absorbé de grandes quantités de CO2, qui font craindre une dégradation de l’état des récifs coralliens profonds, dont dépendent de nombreuses espèces de poissons et de crustacés. Les études en laboratoire montrent que la combinaison de ce phénomène avec la désoxygénation des eaux comme dans le Golfe du Mexique, où avec le réchauffement d’eaux profondes déjà inhabituellement chaudes comme en Méditerranée, est particulièrement critique.
La rapidité avec laquelle la biodiversité profonde réagit aux changements appelle à prendre en compte sans tarder ces risques pour ne pas compromettre la capacité d’atténuation des perturbations climatiques par l’océan et bien d’autres services assurés par la biodiversité des fonds océaniques.
La première étape sera de reconnaître, explicitement, le rôle de l’océan profond dans l’atténuation du changement climatique, la sensibilité particulière des espèces profondes et les effets qu’elles pourraient exercer sur la surface des océans ou l’atmosphère. La régulation des excès de CO2 et de chaleur a un coût pour les organismes des grandes profondeurs qui peut avoir des conséquences irréversibles à très court terme.
Un effort partagé sera indispensable pour développer la connaissance et les outils nécessaires à une protection efficace des écosystèmes les plus vulnérables. L’écologie des grands fonds reste une science jeune. Il y a à peine 150 ans, les scientifiques excluaient que la vie marine soit possible à plus de 500 mètres de profondeur. Depuis, chaque exploration apporte de nouvelles preuves de l’extraordinaire diversité du vivant dans l’océan et de la capacité des espèces à vivre dans des conditions exceptionnelles (de température, d’oxygénation, d’acidité, de pression, etc.). Reste à savoir si cette capacité d’adaptation suffira pour répondre aux perturbations induites par le changement climatique ? Cependant, nous devons reconnaître que nous n’avons aujourd’hui qu’une vision très limitée de la déstabilisation de ces écosystèmes prédite par les scénarios d’émission de gaz à effets de serre.
Dans ce contexte, les Aires marines protégées sont précieuses, en particulier lorsqu’elles s’étendent au large et qu’elles intègrent des écosystèmes remarquables, comme ceux des canyons ou des monts sous-marins, qui assurent des fonctions importantes en interaction avec les écosystèmes de surface. En protégeant et en permettant un suivi à long terme de ces « hotspots » de biodiversité, elles sont aussi des laboratoires naturels pour mieux comprendre les effets du changement climatique sur ces écosystèmes et leurs conséquences.
Anticiper les vulnérabilités et définir des mesures de protection efficaces est un enjeu crucial, alors que les nombreuses urgences climatiques tendent à laisser de côté ce patrimoine exceptionnel mais qui reste ignoré.
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