Avec 524 aires marines protégées (AMP), couvrant près de 32% de la zone économique exclusive (ZEE) française, la France aurait déjà atteint l’objectif de 30% d’AMP sur son territoire. Pourtant, ce chiffre est loin de représenter une protection qualitative des eaux françaises. D’une part le niveau de protection reste faible, avec moins de 2% de la ZEE française recouverte d’AMP dites « intégrales » ou « hautement protégées », alors même que l’efficacité écologique des aires marines protégées dépend au premier plan de leur niveau de protection. D’autre part, la répartition des AMP reste majoritairement inégale entre les différents bassins et façades maritimes du pays. Derrière les objectifs quantitatifs liés aux engagements internationaux, la Plateforme Océan et Climat propose d’approfondir les différentes notions et définitions des aires marines protégées. Entre protection dite « minimale » et protection « intégrale », l’enjeu d’efficacité de cet outil de restauration de la biodiversité marine est de taille. Pour assurer une protection forte de ses eaux, il est primordial que la France s’aligne avec l’ambition internationale et favorise les AMP à protection intégrale ou haute.
L’océan, qui représente à lui seul 71% de la surface du globe et abrite des milliers d’espèces, est en première ligne face aux impacts de la crise climatique et de l’érosion de la biodiversité. Dans leur Rapport d’évaluation mondiale[1], publié en mai 2019, les experts de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) estimaient que 66% du milieu marin était déjà « sévèrement altéré » par les activités humaines. En effet, les pressions qui pèsent sur les écosystèmes marins sont nombreuses, alors même qu’ils jouent un rôle essentiel dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Parmi les facteurs directs identifiés par les scientifiques, en plus des effets du changement climatique, l’océan est particulièrement menacé par la surpêche.
La bonne santé de l’océan est un enjeu vital, et il est urgent d’agir pour le protéger. A cet effet, les aires marines protégées (AMP) sont des outils de gestion largement privilégiés pour restaurer la biodiversité marine et lutter notamment contre la surpêche.
Depuis 2016 déjà, des scientifiques ont montré qu’il faudrait protéger au moins 30% de l’océan afin d’assurer que ce dernier continue de fournir des bénéfices écologiques et économiques, essentiels à nos sociétés et à la vie sur Terre. Cette revendication fait d’autant plus de vagues à l’aube des négociations de la Convention sur la diversité biologique (CDB) dont la quinzième Conférence des Parties (COP15) aura pour objectif de définir le prochain cadre mondial post-2020 pour la biodiversité. En effet, l’objectif “30×30” se dessine comme l’un des enjeux phares des négociations à venir, avec l’ambition pour ceux qui le portent d’en faire la pierre angulaire du nouveau Cadre. Il reste donc près d’un an aux Etats parties à la CDB pour être à la hauteur des exigences internationales en matière de protection de l’environnement marin.
Face à l’urgence de la perte de la biodiversité marine, les ambitions françaises
Avec 10 193 037 km², la France est la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde. La France est présente dans tous les bassins océaniques de la planète, à l’exception du bassin Arctique. Face aux conclusions de l’IPBES, le Président Emmanuel Macron a annoncé vouloir porter la part des aires marines protégées à 30% d’ici 2022 dont un tiers « protégées en pleine naturalité”[2], aussi appelée “protection forte”, un engagement qui semble être en adéquation avec l’ambition internationale. Cependant, l’objectif “30×30” qui sera porté lors des prochaines négociations multilatérales repose sur la mise en œuvre d’aires marines à protection dite “intégrale et/ou haute” afin de fournir des bénéfices écologiques[3] dont dérivent des bénéfices socio-économiques[4].
Tableau 1 : Usages autorisés dans les AMP à protection intégrale et haute
Comptant aujourd’hui 524 aires marines protégées, couvrant près de 32% de sa ZEE, la France atteint déjà les objectifs de 30% d’AMP sur son territoire. Pourtant, la France est loin des 10% de couverture en AMP intégralement et/ou hautement protégées sur l’ensemble de ses façades maritimes. Aujourd’hui, moins de 2% de la ZEE française est recouverte d’AMP intégralement ou hautement protégées. De plus, la répartition d’AMP à protection forte sur le territoire français est très inégale entre les différents bassins et façades. On trouve ainsi 80% de la protection intégrale et haute dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), contre seulement 0,1% en Méditerranée[5].
Dans cette perspective, il est primordial que la France définisse clairement ce qui pourra être qualifié de « pleine naturalité » ou « protection forte ». La révision de la stratégie nationale des aires marines protégées, pilotée par l’Office Français pour la Biodiversité (OFB), est l’occasion de préciser le sens de cette terminologie, et plus précisément son articulation avec les autres définitions et standards internationaux de protection. En effet, afin de s’aligner avec l’ambition internationale, la protection dite “forte” doit correspondre à de la protection “intégrale et/ou haute”.
Afin de réellement protéger l’océan, sa biodiversité, et les services rendus aux millions de personnes qui en dépendent, il est impératif que l’ambition française soit à la fois qualitative et quantitative. Autrement dit, on attend de la France qu’elle protège 30% de sa zone économique exclusive, dont 1/3 en protection intégrale et/ou haute, globalement et sur chacun des bassins et façades maritimes français.
Les définitions et standards internationaux des aires marines protégées
Les aires marines protégées font l’objet de nombreux débats dans les sphères politiques internationales. C’est à l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) que nous devons la définition globalement acceptée d’une AMP : « Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés »[6].
D’après l’UICN, une AMP se distingue donc par son objectif qui doit être la conservation de la biodiversité – et non le développement durable, par exemple. De plus, une AMP ne peut être qualifiée comme telle que si certains critères sont remplis : des zones de protection intégrale sont présentes ; toute activité industrielle et tout développement d’infrastructures sont interdits ; les engins de pêches utilisés n’ont pas d’impact sur les habitats ou les espèces non ciblées ; ou encore si l’AMP n’est pas zonée verticalement – c’est-à-dire si certains espaces de la zone, tels que son espace aérien ou son sous-sol océanique, ne sont pas protégés[7].
Pour l’instant, la protection forte est définie en France uniquement pour des zones où les pressions pouvant avoir un impact sur la biodiversité sont réduites. Cette définition ne correspond donc qu’au niveau de base de la définition d’une AMP pour l’UICN[8].
Une nouvelle définition des niveaux de protection pour atteindre les objectifs fixés
Au débat s’ajoute également l’efficacité prouvée des aires marines protégées. Les engagements internationaux et leurs objectifs quantitatifs ont souvent conduit à la mise en place d’AMP ayant de très faibles niveaux de protection, et donc globalement peu efficaces. En 2018, une synthèse globale[9] a montré que l’efficacité écologique des aires marines protégées dépendait au premier plan de leur niveau de protection, avec la protection intégrale et haute étant de loin la plus efficace (en moyenne, les niveaux de protection plus faibles ne fournissent que très peu ou pas d’effets).
Devant ce constat, un groupe d’experts internationaux regroupant scientifiques, gestionnaires, gouvernements et ONG, a travaillé depuis plusieurs années à la création d’une nouvelle classification d’AMP, en fonction de leurs niveaux de protection. Elle est d’ores et déjà adoptée par l’ONU Environnement, le Centre de surveillance de la conservation de la nature (WCMC) et la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN (WCPA).
Ainsi, quatre niveaux de protection d’aires marines protégées sont définis :
- Les aires à protection intégrale
- Les aires à protection haute
- Les aires à protection faible
- Les aires à protection minimale
Il est important de préciser que les AMP n’excluent pas systématiquement les activités humaines. Les restrictions, ou interdictions, dépendent du niveau de protection de la zone (Tableau ci-dessous). Les activités autorisées doivent avoir un faible impact écologique, être durables, être bien gérées dans le cadre d’une approche intégrée, et être compatibles avec la définition d’une aire protégée selon les catégories de l’UICN.
Tableau 2 : Les nouveaux niveaux de protection
Des bénéfices considérables pour la biodiversité comme pour les sociétés
Les bénéfices associés à une AMP adéquatement protégée sont nombreux. On compte notamment une plus grande abondance des espèces précédemment exploitées, la restauration des habitats et une meilleure résilience au changement climatique. Les AMP fournissent aussi des lieux de reproduction, appelés nurseries, pour certaines espèces vulnérables, permettant ainsi la reconstitution des stocks halieutiques. Un récente étude scientifique a montré qu’en augmentant la protection de 5%, on pouvait ainsi augmenter les captures de 20%[10]. Refuges pour la biodiversité, ces zones rétablissent les fonctions écologiques de nos écosystèmes.
L’ambition chiffrée de la France est forte et à la hauteur de cette nation maritime. Cependant, il est fondamental que la protection dite « forte » corresponde à de la protection intégrale et haute et que les objectifs de couvertures soient déclinés par façades et par bassins.
Signatures
Loreley Picourt, Marine Lecerf, Joachim Claudet
Références
[1] IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio E.S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, and C. N. Zayas (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 56 pages
[2] Prise de parole du Président de la République Française Emmanuel Macron le 6 mai 2019 au Palais de l’Elysée (« Protéger la biodiversité : une ambition française, européenne et mondiale »). Disponible sur le site d’Elysée : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/05/06/proteger-la-biodiversite-une-ambition-francaise-europeenne-et-mondiale
[3] Plus grande abondance et plus grande taille des espèces précédemment exploitées ; restauration des interactions écologiques ; restauration des habitats ; potentiel accru d’adaptation aux changements climatiques et autres changements environnementaux.
[4] Repeuplement des stocks halieutiques ; augmentation de la taille et diversité des captures de pêche ; attractivité touristique ; augmentation des revenus associés.
[5] Claudet J, Loiseau C, Pebayle A (in press). Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world. Marine Policy.
[6] Day J., Dudley N., Hockings M., Holmes G., Laffoley D., Stolton S. & S. Wells, 2012. Guidelines for applying the IUCN Protected Area Management Categories to Marine Protected Areas. Gland, Switzerland: IUCN. 36pp.
[7] Day J., Dudley N., Hockings M., Holmes G., Laffoley D., Stolton S. & S. Wells, 2012. Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines. Gland, Suisse: UICN. 36 pp.
[8] UICN CMAP, 2018. Application des normes mondiales de conservation de l’UICN aux aires marines protégées (AMPs) Mener des actions de conservation efficaces grâce aux AMP pour la santé de l’océan et le développement durable. Version 1.0. Gland, Suisse. 5pp.
[9] Zupan M, Fragkopoulou E, Claudet J, Erzini K, Horta e Costa B, Gonçalves E (2018). Marine partially protected areas: drivers of ecological effectiveness. Frontiers in Ecology and the Environment 16:381-387
[10] Cabral, R. B., Bradley, D., Mayorga, J., Goodell, W., Friedlander, A. M., Sala, E., Costello, C., & Gaines, S. D. (2020). A global network of marine protected areas for food. Proceedings of the National Academy of Sciences, 202000174. https://doi.org/10.1073/pnas.2000174117