Après deux semaines d’âpres négociations, la COP27 s’est achevée dimanche 20 novembre avec l’adoption du « Plan de mise en œuvre de Sharm el-Sheikh« . Alors que le Sommet des leaders mondiaux s’est ouvert sur de nombreux engagements à passer à l’action et des déclarations fortes, notamment d’Antonio Guterres qui déclarait en ouverture « Nous sommes sur l’autoroute qui mène tout droit vers l’enfer climatique avec le pied toujours sur l’accélérateur« , la COP27 s’est conclue sur des résultats mitigés. Malgré l’urgence clairement soulignée par de multiples  publications scientifiques, y compris le sixième rapport d’évaluation du GIEC qui met en évidence l’accélération sans précédent du changement climatique et de ses impacts et la nécessité d’entreprendre des changements rapides, immédiats et à toutes les échelles, la déclaration finale se contente de réitérer l’objectif de 1,5 °C. Cependant, après des années de négociations ardues entre les pays en développement et les pays développés, cette COP est finalement parvenue à un consensus sur la création d’un fond spécifique aux pertes et dommages. Du point de vue de l’océan, la décision finale reconnaît davantage son rôle et renforce le mandat du dialogue annuel Océan-Climat.

 

Une COP de plus en plus bleue, avec l’océan identifié dans la déclaration finale 

Cette année encore, la communauté océan s’est fortement mobilisée lors de la COP27. Cette implication s’est notamment manifestée par la tenue du Pavillon Océan, grâce au soutien et à la coordination d’une vingtaine d’institutions scientifiques (une première dans la Zone Bleue) et l’organisation de plus de 200 événements liés à l’océan. Plusieurs déclarations ont également renforcé la reconnaissance du rôle fondamental de l’océan dans le système climatique, et la nécessité de le considérer comme notre meilleur allié dans la lutte contre le dérèglement climatique. Parmi les principales annonces : 

 

  • La France a exprimé son soutien à un moratoire sur l’exploitation des fonds marins.
  • La Présidence égyptienne, en collaboration avec le Gouvernement allemand et l’UICN, a lancé l’initiative ENACT (Enhancing Nature-based Solutions for an Accelerated Climate Transformation) – qui coordonnera les efforts mondiaux visant à lutter contre le changement climatique, la dégradation des terres et des écosystèmes et la perte de biodiversité grâce à des solutions fondées sur la nature (SFN).
  • Les Pays-Bas ont lancé le ”Groupe des champions pour les deltas et les zones côtières”, qui vise à harmoniser les actions entre les pays et les petits États insulaires en développement afin de parvenir à une gestion durable des deltas et des zones côtières à court et moyen terme, et de fournir des conseils spécifiques aux pays sur la mise en œuvre intégrale de leurs plans nationaux d’adaptation (PNA) ou de leurs stratégies nationales d’adaptation climatique. 
  • Plusieurs avancées ont également été réalisées pour les écosystèmes de carbone bleu. Les mangroves ont fait l’objet d’engagements financiers, avec le lancement d’un objectif d’investissement de 4 milliards USD pour assurer l’avenir de 15 millions d’hectares de mangroves dans le monde d’ici à 2030. Cette initiative s’appuiera sur l’action collective pour mettre un terme à la disparition des mangroves, restaurer la moitié des pertes récentes, doubler la protection des mangroves dans le monde et assurer un financement durable à long terme pour le maintien des mangroves existantes. Les Principes et directives pour un carbone bleu de haute qualité, récemment publiés, décrivent les conditions pour des projets et des crédits de carbone bleu de haute qualité afin de garantir la responsabilité, la durabilité et la transparence sur le marché. Cela fait écho à une  demande croissante pour le développement de crédits de carbone bleu qui continuent d’attirer de nouveaux acteurs et ont été évalués à plus de 190 milliards de dollars par an. On estime qu’ils permettent de réduire les coûts associés à des impacts tels que les inondations de plus de 65 milliards de dollars par an.
  • En ce qui concerne le développement de l’économie bleue, des initiatives ont vu le jour dans le cadre de la campagne « Race to Zero« . Dix grandes organisations de transport maritime et producteurs d’hydrogène vert se sont engagés à produire et à déployer au moins 5 millions de tonnes d’hydrogène vert d’ici à 2030. La Belgique, la Colombie, l’Allemagne, l’Irlande, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis ont également rejoint l’Alliance mondiale pour l’énergie éolienne en mer (GOWA), fondée lors de la COP26. L’Alliance a pour objectif d’être une force motrice mondiale pour l’adoption de l’éolien en mer en rassemblant les gouvernements, les organisations internationales et le secteur privé afin de réduire les émissions et de renforcer la sécurité énergétique. 

 

L’inclusion croissante de l’océan dans les discussions sur le climat se reflète également dans la déclaration finale de la COP, dont le préambule souligne « l’importance de garantir l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris dans les forêts, l’océan et la cryosphère, et la protection de la biodiversité » et « le rôle essentiel de la protection, de la conservation et de la restauration des systèmes d’eau et des écosystèmes liés à l’eau dans l’obtention des avantages et des co-bénéfices de l’adaptation au climat, tout en garantissant des sauvegardes sociales et environnementales« . Pour la première fois, l’océan (sans le « s » !) fait également l’objet d’une sous-section spécifique dans la décision finale :

 

  • Conformément à la décision finale de la COP26, l’article 15 sur l’atténuation « souligne l’importance de la protection, de la conservation et de la restauration de la nature et des écosystèmes pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, notamment grâce aux forêts et autres écosystèmes terrestres et marins qui jouent un rôle de puits et de réservoirs de gaz à effet de serre, et à la protection de la biodiversité, tout en assurant des garanties sociales et environnementales » ; 
  • L’article 45 « Se félicite des résultats et des messages clés du dialogue sur l’ océan et le changement climatique de 2022 et décide qu’à partir de 2023, les futurs dialogues seront facilités par deux co-facilitateurs, choisis par les Parties tous les deux ans, qui seront chargés de déterminer les principaux sujets et de mener le dialogue, en consultation avec les Parties et les observateurs, et d’établir un rapport de synthèse informel qui sera présenté à l’occasion de la session suivante de la Conférence des Parties« . Des précisions chaleureusement accueillies par la communauté océan qui appelait à renforcer le processus du dialogue annuel pour en assurer l’efficacité – et un pas supplémentaire vers l’ancrage des enjeux océan  dans les mécanismes institutionnels de la convention sur le climat. 
  • En ce qui concerne la mise en œuvre de solutions climatiques fondées sur l’océan, la décision finale « encourage les Parties à envisager […] des actions fondées sur l’océan dans leurs objectifs climatiques nationaux et dans la mise en œuvre de ces objectifs, y compris, mais sans s’y limiter, les contributions déterminées au niveau national, les stratégies à long terme et les communications relatives à l’adaptation; » (article 46). Cette disposition reconnaît l’ensemble des solutions que l’océan peut apporter pour atteindre les objectifs climatiques et de développement durable. Toutefois, il faudra faire preuve de vigilance pour s’assurer que seules les actions fondées sur l’océan,scientifiquement prouvées, intelligentes sur le plan climatique et positives pour la biodiversité, soient proposées. Cela nécessitera une surveillance approfondie du développement des procédés dits “d’élimination du dioxyde de carbone” (EDC), y compris des EDC issus de l’océan. 
  • La décision finale reconnaît également la « nécessité de combler les lacunes existantes du système mondial d’observation du climat » (article 26) et de « combler les lacunes systématiques en matière d’observation, en particulier dans les pays en développement et pour les régions océaniques, montagneuses, désertiques et polaires et la cryosphère, afin d’améliorer la compréhension du changement climatique, des risques et des points de basculement liés au climat, ainsi que des limites de l’adaptation, et d’assurer une meilleure prestation des services climatiques et des systèmes d’alerte rapide« . 

 

Il s’agit d’avancées notables pour l’océan, bien que le langage final sur l’océan ait été considérablement allégé au fil des différentes versions de la décision finale. En ce qui concerne le lien entre l’océan, le climat et la biodiversité, alors que le préambule « souligne l’urgente nécessité de s’attaquer, de manière globale et holistique, aux crises mondiales interdépendantes du changement climatique et de la perte de biodiversité dans le contexte plus global de l’atteinte des objectifs de développement durable, ainsi que l’importance vitale de la protection, de la conservation, de la restauration et de l’utilisation durable de la nature et des écosystèmes pour une action climatique efficace et durable« , la COP15 de la Convention sur la diversité biologique n’est pas mentionnée dans la décision finale. A quelques semaines de l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 à Montréal, c’est une grande déception compte tenu de l’urgence de s’attaquer conjointement aux crises du climat et de la biodiversité. Comme exprimé par de nombreux scientifiques et représentants de la société civile : nous n’atteindrons pas les objectifs de l’Accord de Paris sans l’ambition de Montréal (“No Paris without Montreal”) 

 

Les conclusions sur les quatre thèmes principaux de la COP (atténuation, adaptation, financement, pertes et dommages) ont suivi une dynamique similaire, avec une décision finale bien en deçà des attentes – à l’exception de quelques progrès significatifs sur les pertes et dommages. 

 

Un passage à l’action insuffisant pour maintenir le cap des 1,5°C

Compte tenu de l’écart considérable entre la nécessité de réduire de 30 à 45 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 pour se conformer à l’Accord de Paris, et les engagements  actuels qui ne représenterait qu’une réduction de 5 à 10 %, la déclaration finale a rappelé qu’il était urgent de maintenir l’objectif de 1,5 °C grâce à « des réductions rapides, profondes et durables des émissions mondiales de GES de 43 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2019« . À cette fin, les Parties ont affirmé la nécessité d’une transition accélérée vers les énergies renouvelables, appelant à y investir 4 000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Dans le même temps, la décision finale appelle à la réduction de « l’énergie issuedu charbon » et à la suppression des « subventions inefficaces en faveur des combustibles fossiles […] en prenant en compte les circonstances nationales« . Une formulation qui exclut clairement la suppression de toutes les subventions aux combustibles fossiles et qui amoindri l’appel lancé  par l’Inde, le Royaume-Uni, l’UE, la Colombie, le Danemark, les 48 pays les moins avancés et les 38 membres de l’Alliance des petits États insulaires en faveur de la réduction progressive de « tous » les combustibles fossiles. Dans le contexte de la crise énergétique actuelle, ce signal négatif s’ajoute aux récentes publications faisant état de la forte hausse des émissions de carbone provenant des combustibles fossiles en 2022 et enregistrant un nombre record de lobbyistes représentant les énergies fossiles à la COP.

 

Un manque d’objectif clair pour guider l’intensification des efforts en matière de financement et de mise en œuvre de l’adaptation

Considérant l’urgence à combler le « retard d’adaptation » et de mettre en œuvre des « changements transformatifs« , les Parties devaient relever leurs ambitions en vue de la réalisation de l’objectif mondial en matière d’adaptation (OMA). La déclaration finale appelle les pays développés à redoubler d’efforts pour fournir aux pays en développement des moyens financiers, à accélérer le  transfert de technologies et à contribuer au  renforcement des capacités. Elle réitère également l’objectif de parvenir à une couverture universelle des systèmes d’alerte précoce contre les phénomènes météorologiques extrêmes et le changement climatique dans les cinq prochaines années, ainsi que le développement d’une approche d’adaptation fondée sur les écosystèmes. Néanmoins, la déclaration finale ne fournit pas d’orientation claire sur le financement et la mise en œuvre de l’adaptation. Les mentions du doublement du financement alloué à l’adaptation d’ici 2025 et de l’équilibre entre le financement de l’atténuation et de l’adaptation ont également été retirées de la déclaration finale, malgré les demandes des pays en développement.

 

Vers un financement juste et suffisant des mesures d’atténuation et d’adaptation

L’allocation  de financements équitables et suffisants des pays développés vers les pays en développement a été au centre des négociations de ces deux semaines. La déclaration souligne l’importance cruciale de transformer le « système financier […] en engageant les gouvernements, les banques centrales, les banques commerciales, les investisseurs institutionnels et d’autres acteurs financiers« , ainsi que la nécessité de la part des pays développés de fournir 100 milliards de dollars par an aux pays en développement pour la mise en œuvre des ambitions d’atténuation et d’adaptation. Pour la période pré-2030, on estime que les pays en développement ont besoin de 5,8 à 5,9 milliards  d’USD pour mettre en œuvre leurs Contributions déterminées au niveau national (CDN)

 

Les parties appellent ainsi à une plus grande participation des banques multilatérales de développement (BMD) et des institutions financières internationales (IFI) et à une réforme de leurs pratiques et priorités. Pour s’aligner sur l’Accord de Paris, elles sont invitées à faciliter l’accès au financement tout en développant des instruments « adaptés » qui répondent à l’urgence mondiale tout en évitant d’aggraver la dette des pays en développement. Cette demande fait écho aux récents rapports des Nations unies soulignant le risque, pour plus de 50 des pays en développement les plus pauvres, de ne pas honorer leur dette en raison des chocs externes liés à la crise énergétique et à l’inflation. De même, la déclaration ouvre la voie à « l’Agenda de Bridgetown » porté par la Barbade avec le soutien de la France et de 10 nations développées, qui se réunira en juin à Paris pour définir une réforme structurelle des BMD et IFI.  

 

Après des décennies d’âpres négociations, un fonds pour les pertes et dommages est enfin adopté

L’un des enjeux clés de cette COP était les conditions et les mécanismes de financement des « pertes et dommages » (article 8 de l’Accord de Paris). Alors que cette question est sur la table des négociations depuis des années, un consensus a finalement été trouvé lors de la COP27 avec la création d’un fonds dédié aux pertes et dommages pour soutenir les communautés les plus touchées par le changement climatique, via l’opérationnalisation du Santiago network. Il s’agit d’un moment historique et d’une étape majeure pour les pays les plus vulnérables, qui réclamaient une telle mesure depuis la Conférence de Rio de 1992. Si l’inclusion des femmes, des jeunes et des peuples autochtones au sein du conseil consultatif est mentionnée, ce qui constitue un réel progrès, il est décevant que les organisations environnementales non-gouvernementales en aient été exclues. 

 

Malgré ces progrès significatifs, la COP27 n’a pas réussi à faire des pertes et dommages un élément distinct du nouvel objectif chiffré collectif sur le financement du climat (NCQG) en raison du blocage des pays développés. Cela signifie qu’aucune décision sur l’échelle, la portée, la qualité et l’accès au financement n’a été prise lors de la COP27 ; et que ces questions devront être abordées lors de la COP28 pour être rendues opérationnelles. 

 

L’enjeu de cette COP27 était de rétablir la confiance et le dialogue entre les pays développés et les pays en développement afin de pouvoir passer des engagements à  l’action climatique. A cet égard, l’avancée sur les pertes et dommages est « une petite victoire pour l’humanité » selon Avinash Persaud, Envoyée spéciale pour le climat de la Première ministre de la Barbade. Néanmoins, cette décision finale manque cruellement d’ambition face à l’urgence climatique. Les parties devront faire preuve d’une volonté politique beaucoup plus forte lors de la COP28, qui fera le point sur leurs progrès en matière d’action climatique

Bien que le lien entre climat et biodiversité soit de mieux en mieux intégré  dans les négociations, le chemin reste long quant à avoir une  approche intégrée des crises multiples auxquelles le monde est confronté. L’océan, crucial  aux équilibres globaux, et au carrefour des enjeux climatiques, environnementaux et de développement durable, doit occuper une place centrale dans les négociations. A quelques semaines de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique et de l’adoption du cadre mondial post-2020 pour la biodiversité, la Plateforme Océan & Climat continuera de porter le message suivant : « Il n’y aura pas de (Accord de) Paris sans Montréal« .