A l’occasion de la journée mondiale des zones humides le 2 février 2019, ayant pour thème « Zones humides et changement climatique », le ministre de la Transition Ecologique et Solidaire François de Rugy s’est exprimé sur l’urgence d’une reconnaissance des services rendus par cet écosystème et la mise en place de mesures de protection à l’échelle régionale. Cet appel fait écho à la mission parlementaire lancée par le Premier ministre Edouard Philippe en août 2019, afin d’élaborer une action forte en faveur des zones humides et déterminer des pistes de restauration et valorisation de ces terres.
Quelles sont les raisons de cet engouement politique en faveur des zones humides ? Pourquoi y-a-t-il urgence ? Quelles mesures prendre alors pour les protéger ?
© Brian Sumner
Vous avez dit zones humides ?
Les zones humides représentent à l’échelle mondiale une superficie de 12,1 millions de km² 1. En France, leur surface est supérieure à celle de la Belgique soit 36 mille km2 2. Ces milieux ont des caractéristiques écologiques propres en raison de leur sol gorgé d’eau (douce ou marine) une partie de l’année. Une faune et flore spécifique s’y développent, constituant un réservoir de biodiversité qui abrite 12% des espèces animales de la planète. A l’échelle française, c’est 30% des espèces végétales remarquables et menacées qui vivent dans ces zones.
Situées entre terre et mer, elles prennent différentes formes : des vasières du Mont Saint-Michel (zones de dépôts de sédiments très fins), des prés salés de Camargue (étendue de végétation inondée lors des hautes marées), des marais salants de Guérande (étangs utilisés dans la production de sel), de l’estuaire de Gironde (embouchure de fleuve sur la mer) au mangrove de Guadeloupe (forêt littorale, les pieds dans l’eau) 3.
Figure 1 : Répartition des zones humides en France (http://www.zones-humides.org)
Une disparition progressive de l’écosystème
Malgré leur superficie mondiale plus vaste que celle du Groenland, les zones humides mondiales ont perdu 35% de leur surface depuis 1970, soit un rythme trois fois supérieur à celui de la déforestation, selon une étude commandée par l’ONU environnement. Le rapport estime que 87% des « ressources » issues des zones humides ont été perdues depuis le début du 18ième siècle. Cette situation est similaire à l’échelle du territoire français où l’on observe, entre 1960 et 1990, une disparition des zones humides françaises à hauteur de 50 %4.
En cause, une intensification agricole, aquacole, un étalement des villes et des bourgs et une artificialisation des côtes et des cours d’eau5. Un manque coordination et des contradictions dans les politiques publiques rendent notamment compte de cette disparition depuis 1970. Cette disparition est inquiétante compte tenu de leur rôle pivot dans l’atténuation des effets du changement climatique et au maintien de la biodiversité1. Elles rendent de nombreux services écosystémiques (capacité à fournir à l’humain des biens et services nécessaires à leur bien-être et à leur développement). Les zones humides contribuent significativement à la captation du carbone régulant ainsi les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).
A titre d’exemple, les tourbières, composées de matière végétale accumulée depuis des milliers d’années et représentant la moitié des zones humides de la planète, retiennent 30% du carbone atmosphérique, soit deux fois plus que les forêts mondiales1. Pourtant, leur couverture mondiale est seulement de 3%. Les zones humides littorales (marais salant, prés salé, mangroves, etc) sont primordiales6. En effet, elles permettent l’atténuation de la montée du niveau des eaux en agissant comme des éponges, absorbant et stockant le surplus d’eau. De plus, elles constituent de véritables remparts contre les submersions marines, en amortissant et en réduisant l’intensité des vagues, des ondes de tempêtes et des tsunamis7. Services qui nous sont bien utiles compte tenu des prévisions du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) qui évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes et ses impacts. Ces derniers prévoient d’ici la fin du 21ième siècle, l’augmentation du niveau de la mer, entrainant un recul du trait de côte ainsi que l’intensification d’évènements extrêmes et des submersions marines 8.
Figure 2 : Les zones humides jouent un rôle d’ « amortisseur climatique »9
Une prise de conscience politique
Aujourd’hui, un engagement politique fort se dessine. Le rapport « Terre d’eau, Terre d’avenir » mené par Frédérique Tuffnell, députée de la Charente-Maritime, et Jérôme Bignon, sénateur de la Somme clôture les travaux de la mission parlementaire lancée par le Premier ministre Edouard Philippe. Remis à François de Rugy le 28 janvier 2019, il constitue une aide à la décision publique et détermine des pistes de restauration et valorisation de ces terres afin d’élaborer une stratégie régionale de la protection de cet écosystème.
De ce fait, le rapport recommande la mise en place de nouveaux instruments techniques et financiers afin de mettre en avant la préservation et le développement des puits de carbone « bleus » que représentent, en autres, les zones humides. Un des outils d’incitation économique et financière proposé est la mise en place d’un dispositif de compensation carbone qui reposerait sur la volonté des acteurs de terrain, industriel ou agricole à adopter de nouvelles pratiques plus respectueuses de ces milieux. En contrepartie, ces derniers receveraient une compensation financière payée sur un fond de dotation (projet en cours d’évaluation dans la ville de la Rochelle). Un autre outil est l’établissement d’un fonds stratégique d’investissement alimenté par une taxe carbone au profit des zones humides. Il serait financé par les émetteurs de carbone des territoires concernés à raison d’un euro pour chaque tonne stockée grâce aux zones humides dans ces territoires.
Le rapport préconise notamment l’amélioration des connaissances topographiques de ces milieux, encore trop souvent sous-évalués. Pour finir, il est urgent d’élaborer une campagne de communication et de sensibilisation sur ces milieux et sur les services rendus à la société, légitimant ainsi la nécessité de leur préservation aux yeux des citoyens et des décideurs4.
Sources :
1. RAMSAR. Les zones humides – l’écosystème le plus précieux du monde – disparaissent trois fois plus vite que les forêts, selon un nouveau rapport. (2018). Available at: https://www.ramsar.org/fr/news/les-zones-humides-lecosysteme-le-plus-precieux-du-monde-disparaissent-trois-fois-plus-vite-que. (Accessed: 26th February 2019)
2. Ministère de la Transition écologique et solidaire. Protection des milieux humides. Available at: http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/protection-des-milieux-humides. (Accessed: 16th February 2019)
3. Direction générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature. Les zones humides, des milieux naturels à protéger. (2009).
4. Tuffnell, F. & Bignon, J. Terre d’eau, terre d’avenir. 108 (2019).
5. Forum des marais d’Atlantique. Biodiversité en Nouvelle Aquitaine. (2019). Available at: http://www.forum-zones-humides.org/biodiversite-nouvelle-aquitaine.aspx. (Accessed: 21st February 2019)
6. Noireau, A. Face au changement climatique : quels cours d’eau et quelles zones humides pour les villes de demain ? Service Patrimoine NaturelDREAL Nouvelle Aquitaine, 46 (2018).
7. Convention de Ramsar sur les zones humides. Perspectives mondiales des zones humides? L’état mondial des zones humides et de leurs services à l’humanité 2018. (2018).
8. Intergovernmental Panel on Climate Change. Global warming of 1.5°C. (2018).
9. Diane Vaschalde. Services écologiques rendus par les zones humides en matière d’adaptation au changement climatique. (2014).
Auteur: Aline Meidinger, Plateforme Océan et Climat