Malgré la volonté chilienne et la collaboration entre scientifiques et Etats parties, la « Blue » COP25 s’est avérée en grande partie décevante, faisant jour sur le manque d’ambition flagrant des pays émetteurs de carbone. Le processus qui a conduit à sa tenue a toutefois souligné le besoin d’une meilleure prise en compte de la machine climatique qu’est l’océan. Depuis 2015, les scientifiques ont joué un rôle prégnant dans cette mise en lumière et arguent qu’il est temps que l’océan reçoive l’attention scientifique, politique et médiatique qu’il mérite. La communauté scientifique a effectivement démontré que l’océan est fortement impacté par le changement climatique et ses effets dans le dernier Rapport Spécial du GIEC sur l’Océan et la Cryosphère (1) et nous alerte sur les changements graves, voire irréversibles, que l’océan subit actuellement.

C’est précisément cette communauté scientifique et les acteurs engagés de l’océan qui nous rappellent le manque de connaissance à son sujet à l’aube de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030). En effet, l’on considère souvent connaître seulement 5% de l’océan, d’où l’adage selon lequel Mars serait mieux connue par l’homme que cette immense masse bleue qui recouvre 71% de la surface de la Terre. C’est dans ce contexte que la Plateforme Océan et Climat (POC) a publié son Plaidoyer 2019-2021 (2) lors de la COP25 dans lequel elle consacre une partie entière à la science. Ce document rappelle la nécessité de limiter le réchauffement en deçà de 1,5°C conformément à l’Accord de Paris (3) et émet une série de recommandations en ce sens, autour de quatre enjeux majeurs : l’atténuation, l’adaptation, la science et la finance durable. La POC mise ainsi sur la communauté scientifique et la recherche pour parvenir à ces objectifs avec pour postulat qu’une décision politique éclairée devrait se baser sur l’expertise scientifique en la matière.

Vers un ajustement des approches scientifiques

Dans une logique d’optimisation et d’amélioration de notre méthode d’accumulation et d’usage des connaissances, les approches scientifiques gagneraient à être ajustées. En effet, alors que l’effort d’élaboration d’un système d’observation de l’océan global fait de plus en plus sens, le besoin d’une coordination accrue entre scientifiques cristallise l’attention. Un tel système global pourrait s’inspirer du Système mondial d’observation de l’océan (4). Ce système collaboratif d’observation de l’océan favorise les échanges de contributions nationales et rassemble des experts de nationalités et domaines de recherche différents. La POC recommande d’intégrer dans cette logique des données aux origines variées, au-delà des paramètres physico-chimiques, biologiques et écologiques, en incluant également différents domaines des sciences humaines et sociales.

La question du partage de l’information est également au cœur des débats. La disponibilité de l’information scientifique a pour but de servir de fondement rationnel aux décisions politiques. C’est pourquoi, ces savoirs disponibles ne doivent pas se limiter aux sciences dures mais devraient également intégrer la dimensions sociale, culturelle et historique de l’océan pour les communautés qui en dépendent. Cette intégration de divers savoirs permettrait de mieux adapter les solutions aux problèmes de durabilité et à leur contexte écologique, économique, politique et socioculturel. Il s’agit ici de penser l’océan en considérant de manière concomitante ses potentiels bénéfices ou dangers pour l’homme.

L’ajustement des savoirs passe par une dernière dimension : la collaboration. Renforcer la collaboration scientifique au niveau national, régional, et international, par la transparence des approches, le libre accès aux données et la reproductibilité des résultats, peut permettre d’améliorer la circulation de l’information, de créer un milieu favorisant l’émergence d’idées et de démocratiser le savoir scientifique.

De manière générale, il ressort donc aujourd’hui un besoin d’approche multidisciplinaire, de coordination accrue entre scientifiques, politiques et usagers de la mer, d’harmonisation et de partage de l’information. (5).

Consolider la connaissance scientifique

Au-delà de l’ajustement des approches, la Plateforme Océan et Climat prône dans son Plaidoyer la consolidation de la connaissance scientifique. La science est loin d’avoir mis à jour tous les processus qui habitent et font fonctionner le régulateur du climat. Il semble par exemple nécessaire de mieux documenter, comprendre et prévoir l’évolution de la circulation et de la chaleur océaniques. Celles-ci ont des influences multiples sur la météo, la variabilité climatique et le changement climatique. Par ailleurs, on sait que les facultés d’absorption de carbone sont proches de leur limite maximum. Il revient donc à la science de mieux appréhender, qualitativement et quantitativement, le rôle de l’océan dans la régulation du climat via le stockage de carbone anthropique, ou d’autres gaz climatiquement actifs.

De plus, dans le contexte d’une année 2020 qualifiée de « super year » pour l’océan mais surtout résolument tournée vers la biodiversité car marquée par le Congrès Mondial de l’UICN et la COP15 de la Convention sur la diversité biologique, l’un des enjeux se faisant plus pressant est celui de l’analyse des interactions entre biodiversité marine et régulation du climat. Aussi, il devient urgent de mieux identifier les boucles de rétroaction entre les impacts écologiques des différentes pressions (surpêche, pollutions, changement climatique) et le fonctionnement du stockage du CO2. En matière de biodiversité, la Plateforme Océan et Climat, tout comme l’IPBES dans son dernier rapport d’évaluation, identifie prioritairement les écosystèmes profonds comme manquant clairement de connaissance (6).

La Plateforme Océan et Climat soutient le renforcement de l’étude des impacts cumulés des stress climatiques (réchauffement, désoxygénation, acidification, etc.) et des pressions anthropiques (surpêche, pollutions, destruction d’habitats, etc.) sur la biosphère marine et littorale, le cycle du carbone et les systèmes socio-économiques. Si l’IPBES a montré que le changement climatique explique partiellement l’érosion de la biodiversité océanique, cette interaction entre climat et biodiversité océanique reste trop méconnue. Conscients du besoin de cesser de travailler en silos, l’IPBES (œuvrant sur la biodiversité) et le GIEC (œuvrant sur le climat) vont donc réaliser en 2020 leur premier rapport conjoint qui explicitera sans doute certaines de ces interactions clés.

Dans une perspective politique, il est essentiel que soient développés des scénarios climatiques afin de permettre des prises de décisions collectives, pertinentes et adaptées à différentes échelles. Cela fait notamment écho aux travaux du GIEC qui identifie quatre possibles trajectoires d’émissions et de concentration de gaz à effet de serre (RCP) qui sont utilisées par les climatologues ou économistes dans leurs scénarios. Les stratégies nationales peuvent alors s’appuyer sur ceux-ci en vue de s’adapter à un changement climatique qui manque encore bien trop de prise en considération (7).

Par conséquent, la connaissance scientifique ne peut omettre de se concentrer sur les solutions d’atténuation et d’adaptation face au changement climatique. Il se trouve en effet que l’océan offre des « solutions fondées sur la nature » dont l’un des exemples emblématiques est celui des mangroves – écosystème dit de « carbone bleu » – capables de séquestrer du CO2 et d’atténuer la hausse du niveau de la mer et les évènements extrêmes (8). Les Aires Marines Protégées (AMP), outil populaire de gestion de la biodiversité, suscitent des interrogations scientifiques quant à leur potentiel en termes d’impact sur les écosystèmes, de stockage du carbone et d’accès aux ressources naturelles. Elles sont sujettes à de véritables débats scientifiques alors qu’elles font l’objet d’un portage politique croissant par les associations, ONGs et acteurs politiques.

Au-delà des capacités d’adaptation humaines, la Plateforme Océan et Climat considère nécessaire l’étude scientifique de la capacité d’adaptation des organismes marins. Les capacités d’adaptation de nombre d’espèces sont mises à mal non seulement par le changement climatique mais aussi par la surpêche, la destruction d’habitats et la pollution. Par exemple sur la pêche, le rôle de la science serait de consolider et d’améliorer nos savoirs concernant les stocks halieutiques, aujourd’hui majoritairement surexploités, et les flottes de pêche qui polluent et usent de techniques aux conséquences désastreuses pour l’environnement. La surexploitation est l’un des facteurs qui pèse le plus sur la biodiversité océanique estime la secrétaire exécutive de l’IPBES Anne Larigauderie (9). A ceci s’ajoute un déplacement des poissons qui migrent vers le nord en raison des effets du changement climatique et dont la taille risque de réduire pour certaines espèces (10). Ces changements de localisation des stocks risquent d’impliquer de plus grandes distances à parcourir pour des navires qui polluent déjà et incitent à revoir notre modèle de gestion des pêches ainsi que notre connaissance des espèces sur la base d’une expertise scientifique.

Partager la connaissance et sensibiliser aux enjeux océan-climat-biodiversité

Il est fondamental que la recherche scientifique ne s’adresse pas uniquement aux décideurs politiques mais contribue également à la sensibilisation de l’opinion publique. Aussi, il semble nécessaire que la cause climatique intègre les programmes scolaires et que l’on y renforce l’enseignement de l’importance de l’océan pour notre qualité de vie. Dans cette logique, le matériel pédagogique facile d’accès pourrait être regroupé en ligne. C’est le projet porté par l’UNESCO et intitulé « Ocean Literacy » (11).

Cela serait un premier pas vers la sensibilisation des citoyens au rôle qu’ils peuvent incarner, s’ils le désirent, dans la protection de l’océan et du climat. De nombreux acteurs se saisissent déjà du sujet à l’image des aquariums ou muséums que la Plateforme Océan et Climat compte dans ses membres et avec qui elle travaille étroitement. Ils œuvrent à diffuser cette connaissance auprès du grand public ainsi qu’à le sensibiliser à ces thématiques pour en faire un potentiel acteur. C’est dans cet esprit qu’il s’agit de soutenir la création et la diffusion de contenus scientifiquement pertinents et compréhensibles pour le grand public à l’image des publications scientifiques de la POC (12) en 2019 et de ses fiches diffusion de connaissance (13).

Ces défis de la sensibilisation aux enjeux climatiques et océaniques expliquent les stratégies développées par divers organismes internationaux pour promouvoir des chercheurs en début de carrière comme le fait le Conseil International de la Science ou Future Earth. De manière générale, il est désormais nécessaire de former un plus grand nombre de professionnels sur ces thématiques et notamment les acteurs du milieu marin (gestionnaires d’AMP, officiers de marine marchande, pêcheurs, etc.) aux défis posés par le changement climatique et aux solutions appropriées, en mettant à leur disposition des informations scientifiquement pertinentes. Une fois de plus, le partage du savoir, doit nous permettre d’agir de manière éclairée, conscients d’une urgence que nous ne pouvons plus ignorer.

Gauthier Carle, Loreley Picourt

Références

(1) IPCC, 2019: The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate [Nerilie Abram, Jean-Pierre Gattuso, Anjal Prakash, Regine Hock, Golam Rasul, Michael Meredith, Martin Sommerkorn, Michael Oppenheimer,Bruce Glavovic, Nathaniel L. Bindoff, William W. L. Cheung, James G. Kairo, Matthew Collins, Michael Sutherland], In Press.

(2) Plateforme Océan et Climat (2019) « Plaidoyer » (2019).

(3) Accord de Paris sur le climat, 2015.

(4) https://www.goosocean.org [Consulté pour la dernière fois le 23/01/2019].

(5) Duarte, Carlos & Poiner, Ian & Gunn, John. (2018). Perspectives on a Global Observing System to Assess Ocean Health. Frontiers in Marine Science.

(6) IPBES, 2019. Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Serviceshttps://www.ipbes.net/global-assessment-report-biodiversityecosystem-services [Consulté pour la dernière fois le 25/09/2019].

(7) Rapport d’information de MM. Ronan DANTEC et Jean-Yves ROUX, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective n° 511 (2018-2019) – 16 mai 2019.

(8) Plateforme Océan et Climat (2019), Blog Le Monde, « Les réserves marines : un dispositif d’atténuation et d’adaptation au changement climatique ».

(9) https://www.lejdd.fr/Societe/il-y-a-urgence-a-agir-pour-la-biodiversite-3939989 [Consulté pour la dernière fois le 23/01/2020]

(10) IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio E.S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, and C. N. Zayas (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany.

(11) https://oceanliteracy.unesco.org/fr/ [Consulté pour la dernière fois le 23/01/2020].

(12) Plateforme Océan et Climat (2019) « Océan et climat : Fiches scientifiques» (2019).

(13) Plateforme Océan et Climat (2019) Fiches pédagogiques « Océan et Climat : les nouveaux défis» (2019).