En 2015, l’intégration de l’Océan dans le Préambule de l’Accord de Paris a constitué la pierre angulaire de la reconnaissance de son rôle dans le système climatique mondial. En quatre ans, le lancement de l’Agenda Global de l’Action climatique lors de la COP22 (Marrakech), le Rapport spécial sur l’Océan et la Cryosphère (SROCC, septembre 2019) du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) et l’émergence du concept de « Blue COP » sont autant de progrès qui ont permis de faire monter l’océan en puissance dans les négociations climatiques, objectif pour lequel la Plateforme Océan et Climat (POC) poursuit sa mobilisation.
Les enjeux de la COP25
La COP25, 25ème Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le Changement climatique (CCNUCC), devait permettre aux signataires de l’Accord de Paris (2015) de s’accorder sur trois enjeux fondamentaux. Le premier était la mise en œuvre de l’article 6, relatif aux règles de mise en œuvre (“Rulebook”) de l’Accord de Paris, portant sur la mise en place d’un système d’échanges interétatiques des émissions de carbone permettant aux États d’atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Le second portait sur la question des pertes et préjudices, reconnue comme un des piliers de l’action climatique dans l’article 8 de l’Accord de Paris et pour laquelle aucune piste concrète d’action, notamment financière, n’avait jusque-là été identifiée. Enfin, le dernier enjeu de cette COP était de définir l’avenir de l’Agenda Global de l’Action Climatique, lancé en 2016 à Marrakech lors de la COP22, qui a pour objectif d’appuyer les engagements pris par les États en accordant une place centrale et officielle aux acteurs non-étatiques et aux solutions qu’ils portent.
De plus, annoncée comme une « Blue COP » par la Présidence chilienne, la COP25 a suscité de grandes attentes pour la communauté océan, par la promesse d’une attention particulière accordée à l’océan et ses écosystèmes au sein des négociations. Cette décision a été prise à cœur puisque près d’une centaine d’évènements dédiés à l’océan ont été organisés durant les deux semaines, dont des événements portés par la Présidence chilienne. Dans des négociations souvent complexes en raison du grand nombre d’acteurs qui y participent et de leurs intérêts divergents, l’océan a su tirer son épingle du jeu grâce à une mobilisation extrêmement forte de la société civile mais également grâce au portage politique assuré notamment par le Chili, la Principauté de Monaco, le Costa Rica et les États insulaires dont les Fidji.
La Plateforme Océan et Climat et ses partenaires sur le pont pendant les négociations climatiques
Dès la journée d’ouverture de la COP, la Plateforme Océan et Climat organisait, sur le pavillon de la France, un événement de haut niveau pour présenter son nouveau plaidoyer pour « un océan en bonne santé, un climat protégé », en présence de S.A.S Prince Albert II de Monaco, et de S.E. la Secrétaire d’État à la transition écologique et solidaire, Brune Poirson. Avec les interventions de Valérie Masson-Delmotte (co-présidente du Groupe de Travail I du GIEC), Anna Zivian (directrice de recherche chez Ocean Conservancy), Rémy Rioux (Directeur général de l’AFD) et Raphaël Cuvelier (Senior Advisor pour la Fondation Prince Albert II de Monaco), cet évènement a permis de présenter un état des lieux des enjeux globaux, tant scientifiques que politiques et de développement, liés aux interactions entre l’océan, le climat et la biodiversité. Un compte-rendu de cet événement couvert par l’IISD Reporting Services est disponible ici.
Le 4 décembre, la POC a poursuivi la présentation de son plaidoyer lors d’un second évènement intitulé “Moving from science to action : ocean-climate policy recommendations” au pavillon de l’Union Européenne. Sous la modération de Joachim Claudet (CNRS, Président du Conseil scientifique de la POC), cette conférence a été ouverte par l’intervention de Gonzalo Muñoz Abogabir, champion du climat désigné par la présidence Chilienne.
“ Nous devons offrir une halte à l’océan et le laisser se restaurer afin qu’il puisse jouer son rôle critique dans la régulation du système climatique (…) Apprendre à restaurer et à proprement interagir avec l’océan est crucial, parce qu’affecter l’océan nous affecte nous-même ” – Gonzalo Muñoz Abogabir
Lui a succédé un panel de scientifiques de haut niveau. Tout d’abord, Jean-Pierre Gattuso (CNRS et IDDRI) a présenté les conclusions du SROCC, rapport alarmant sur l’état de dégradation de l’océan. Puis, les quatre enjeux identifiés dans le plaidoyer – l’Atténuation, l’Adaptation, la Science et la Finance durable – ont été respectivement présentés par Anna Zivian (Ocean Conservancy), Emily Pidgeon (Conservation international), Torsten Thiele (Global Ocean Trust) et Lisa A. Levin (SCRIPPS). En conclusion, Romain Troublé (Fondation Tara Océan, Président de la POC) présentait l’Appel à l’action de la Plateforme et ses 20 recommandations. L’évènement fut clos par l’intervention de Teresa Solana, membre de l’équipe climat du Ministère de la Transition écologique d’Espagne, qui a rappelé l’importance des démarches multi-acteurs dans la réalisation des objectifs de lutte contre le changement climatique.
« Nous attendons des décideurs politiques qu’ils entendent notre appel et qu’ils fassent usage de cette Blue COP aux meilleures fins, dans l’intérêt du climat, de l’océan, sa biodiversité et des communautés qui en dépendent » – Romain Troublé, Président de la Plateforme
Les efforts de mobilisation de la Plateforme Océan et Climat se sont poursuivis par sa participation à de nombreux autres évènements, notamment en collaboration avec l’initiative Because The Ocean, l’Ocean Acidification Alliance(OA Alliance), la Communauté du Pacifique, le Plymouth Marine Laboratory, l’IDDRI, le Global Ocean Forum, Conservation International, ou encore la Fondation Tara Océan et le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM).
La POC a été depuis de longs mois un partenaire de l’initiative Because The Ocean qui a publié à l’occasion de cette COP25 le Rapport Ocean for Climate : Ocean-related measures in Climate strategies. Ce rapport, destiné aux gouvernements, propose une série de mesures concrètes pour assurer la protection de l’océan et des écosystèmes qui le composent et s’inscrit donc dans la perspective de la COP26 (2020), lors de laquelle les États seront amenés à réviser à la hausse leurs contributions nationales déterminées (NDC).
L‘Oceans Action Day à la COP25
Comme chaque année depuis 2016, la Plateforme Océan et Climat était l’un des partenaires principaux de l’organisation du Oceans Action Day piloté par le Global Ocean Forum et qui, pour la première fois cette année, s’est déroulé sur deux jours dans le but de présenter l’ensemble des enjeux océaniques de cette COP à travers des évènements portant sur la place du nexus océan-climat au sein et au-delà de la CCNUCC, sur l’intégration de mesures liées à l’océan dans les NDC, sur le rôle des sciences océaniques dans l’élaboration de solutions d’adaptation et de migration, et sur comment galvaniser le soutien à l’action pour l’océan et le climat. Près de 200 personnes ont pris part à l’Oceans Action Day[1] et ont participé à l’évaluation des actions aujourd’hui mises en œuvre en faveur de la protection de l’océan et du climat, et à l’identification des lacunes subsistantes. Ces journées ont également permis de traiter des implications politiques du Rapport Spécial sur l’Océan et la Cryosphère (SROCC) et du Rapport Spécial sur un réchauffement planétaire de 1.5°C du GIEC, et de mettre en lumière les possibilités d’action qui en découlent.
L’engouement pour l’océan n’a pas non plus laissé les pays européens indifférents puisque l’Union Européenne a organisé son propre EU Ocean Day (7 décembre), durant lequel le récemment élu Commissionnaire européen pour l’Environnement, l’Océan et les pêcheries, S.E. Virginijus Sinkevičius, a souligné l’importance de l’océan dans le prochain Green Deal de l’UE. La Plateforme Océan et Climat a clos la session de l’EU Oceans Action Day par la présentation de son plaidoyer.
Enfin, en amont de la COP25, un groupe d’une quinzaine d’experts océan, dont la POC, avait été mobilisé au sein du Programme de Travail de Nairobi (NWP) sur l’adaptation, afin de planifier des actions de suivi collaboratif sur l’océan dans le but de combler les lacunes de connaissances. Lors de la COP, un Forum rassemblant les membres de ce groupe et les États parties à la Convention s’est réuni autour de 4 objectifs (l’adaptation, la diffusion de connaissance, la collaboration et le soutien du NWP à la mise en place de l’Accord de Paris), témoignant de l’intérêt croissant pour les questions océaniques au sein des instances de la CCNUCC.
Les conclusions de la COP25 : un sentiment doux amer pour la communauté océan
La 25ème Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique devait initialement s’achever le 13 décembre, après deux semaines d’événements et de débats. En raison de l’absence d’un accord satisfaisant, les négociations ont été prolongées de deux jours durant lesquels les délégations étatiques ont travaillé sans relâche afin de trouver un accord significatif. Ainsi, le 15 décembre, les États-Parties ont adopté une décision intitulée Chile Madrid Time for Action, dont les conclusions furent reçues avec amertume aussi bien par certains gouvernements que par la société civile.
Comme le disait Dr Lisa Levin (Scripps Institute of Oceanography), « peu sauront à quel point ces conclusions sur l’océan ont été durement acquises »[2]. En effet, de nombreuses coalitions de pays se sont mobilisées pour faire émerger l’océan dans la décision finale. Cette dernière, bien que moins ambitieuse que celle initialement proposée par le Chili, le Costa Rica, les Fidji et l’Indonésie, demeure une avancée majeure pour la communauté bleue qui voit pour la première fois l’océan apparaitre dans une décision finale des COP Climat. Une décision qui souligne par ailleurs l’importance du Rapport Spécial sur l’utilisation des terres et du SROCC produits par le GIEC, en appelant les Parties à continuer de soutenir leurs travaux, ainsi que la nécessité de lutter contre l’appauvrissement de la biodiversité, rappelant « la contribution décisive de la nature face aux changements climatiques »[3].
Parmi les décisions relatives à l’océan prises par les Parties, le Président de l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA) sera chargé d’organiser lors de sa 52ème session (juin 2020 à Bonn, Allemagne) « un dialogue sur les océans et les changements climatiques afin d’étudier les moyens de renforcer les mesures d’atténuation et d’adaptation dans ce contexte »[4]. Les Parties à la CCNUCC et les parties-prenantes aux négociations climatiques sont appelées à soumettre des contributions permettant d’alimenter le dialogue et ce, avant le 31 mars 2020[5]. Ces mesures s’ajoutent à la Plateforme des solutions pour l’océan (en Anglais : Platform for Science-Based Ocean Solutions) lancée par le Chili pendant la COP, dont l’objectif est de rassembler différents acteurs étatiques, privés et de la société civile, afin de parvenir à une meilleure intégration de l’océan dans les Contributions Déterminées au niveau National (en anglais : NDCs). Les recommandations émises dans le rapport Ocean For Climate publié par l’initiative Because the Ocean permettront notamment d’alimenter cette plateforme avec des mesures concrètes d’atténuation et d’adaptation.
Par ailleurs, les engagements pris par les États ne semblent pas avoir convaincu, jugés bien en deça du niveau d’ambition nécessaire à la limitation du réchauffement de la température globale à +1.5°C. En effet, bien qu’environ 80 pays se soient engagés à davantage réduire leurs émissions de GES, ils ne représentent ensemble que moins de 10% des émissions mondiales. Les grands pays développés, dont les niveaux d’émissions de GES sont bien plus élevés, n’ont quant à eux pas fait preuve de l’ambition à laquelle avait appelé le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres lors du Sommet pour le Climat de septembre dernier à New York. En effet, aucun accord n’a été trouvé pour la mise en place de l’Article 6 de l’Accord de Paris, relatif à ses règles de mise en oeuvre, dont les négociations ont notamment été bloquées par le Brésil, l’Australie et les États-Unis[6]. Concernant l’Article 8 de l’Accord de Paris portant sur la question des pertes et préjudices, les États sont parvenus à s’accorder sur quelques mesures : la création du Réseau de Santiago sur les pertes et préjudices et celle d’un groupe d’experts sur l’action et le soutien au sein du Comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie (WMI). Toutefois, aucun accord n’a été atteint concernant la gouvernance de ce mécanisme. Ces décisions ont donc été reportées une fois de plus à l’année suivante, au désarroi de nombreux États insulaires et en voie de développement.
La Présidence britannique de la COP26, représentée par Claire Perry O’Neill (ancienne Ministre britannique de l’Énergie et de la croissante durable) a d’ores et déjà annoncé que la prochaine Conférence, qui se tiendra à Glasgow en novembre 2020, s’inscrirait dans la continuité de la « BlueCOP », rappelant que « nous pouvons y parvenir. Nous devons y parvenir. Ce n’est pas une option, car il n’y a pas de planète B »[7]. La Plateforme Océan et Climat s’engage à contribuer aux différentes initiatives portées par la CCNUCC pour assurer la prise en compte des enjeux océan-climat-biodiversité. En collaboration avec l’ensemble de ses membres, elle portera son plaidoyer qui propose, notamment, d’identifier des synergies entre les différentes conventions liées au climat et à la biodiversité. Nous ne pouvons plus adresser les enjeux liés à la préservation des écosystèmes et ceux liés à la lutte contre le changement climatique en opérant une distinction entre eux : ils ne font qu’un ! L’année 2020, annoncée comme la Super Year pour la biodiversité, présente une opportunité unique de briser les silos, d’identifier des solutions et promouvoir les collaborations pour le nexus océan-climat-biodiversité.
[1] Oceans Action Day at COP 25 (2019) par IISD Report Service/ENB. URL : https://enb.iisd.org/climate/cop25/oceans-action-day/7dec.html
[2] Lisa Ann Levin, Twitter. URL : https://twitter.com/llevinann/status/1206238999192293376?s=21
[3] Article 15, Chili Madrid – le temps de l’action (2019), Décision finale de la COP25. Disponible sur : https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cp2019_L10F.pdf
[4] Article 31, Ibid.
[5] Article 33, Ibid.
[6] « La pénible conclusion d’une COP calamiteuse », Reporterre, 16 Décembre 2019. URL : https://reporterre.net/La-penible-conclusion-d-une-COP-calamiteuse
[7] « La COP25 s’achève par un accord dépourvu d’avancées globales », Le Monde, 15 Décembre 2019. URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/12/15/climat-la-cop25-s-acheve-par-un-accord-depourvu-d-avancees-globales-significatives_6022942_3244.html
Autres ressources :
- Plateforme Océan et Climat (2019) Fiches pédagogiques « Océan et Climat : les nouveaux défis » (2019),
- Plateforme Océan et Climat (2019) « Océan et climat : Fiches scientifiques«
- Initiative Because The Ocean (2019) Rapport « Ocean for Climate : Ocean-related measures in Climate Strategies«
- J-P Gattuso (CNRS, Université Sorbonne), Alexandre Magnan et al.. pour l’IDDRI (2019) Policy Brief « Opportunities for increasing ocean action in climate strategies«
- André Abreu (Fondation Tara Océan), Chris Bowler (CNRS, ENS) et al. pour la Fondation Tara Océan (2019) Policy Brief « Scientists warning on the interactions between ocean plankton and climate change«