Conséquences du changement climatique, les vagues de chaleur marines font peser des menaces durables dans l’océan comme sur terre
L’Atlantique nord connaît actuellement d’importantes vagues de chaleur marines, avec des températures entre + 2°C et + 5°C supérieures à la normale saisonnière selon le programme d’observation Copernicus. Conséquence directe du changement climatique, l’océan se réchauffe et les événements extrêmes tels que les vagues de chaleur marines se multiplient. L’intensité de ces phénomènes, leur étendue et leurs impacts dévastateurs sur la biodiversité marine et les populations qui en dépendent inquiètent, alors que le GIEC soulignait dans son dernier rapport d’évaluation que le nombre de jours de vagues de chaleur marines a augmenté de 54% depuis le début du siècle.
Un phénomène extrême, aggravé par le changement climatique
Qu’est ce qu’une vague de chaleur marine ?
Les vagues de chaleur marines, aussi appelées canicules marines, sont des périodes inhabituelles lors desquelles la surface de la mer se réchauffe pendant plusieurs jours à plusieurs mois, sur des zones pouvant atteindre des milliers de kilomètres carrés. Bien que l’augmentation des températures de surface de l’océan en soit le principal indicateur, elles peuvent également s’étendre en profondeur. Par ailleurs, s’il s’agit d’événements climatiques extrêmes, localisés et temporaires, ces vagues de chaleur sont de plus en plus intenses, fréquentes, longues et étendues spatialement du fait du changement climatique. Selon le GIEC, la fréquence des vagues de chaleurs marines a doublé depuis les années 1980.
C’est en 2003 que les premières vagues de chaleur marines ont été étudiées en Méditerranée avec des températures en été de + 1 à + 3°C au-dessus des moyennes saisonnières. D’autres épisodes ont depuis ponctué l’actualité comme en 2011 au large de la côte ouest de l’Australie où la température a atteint jusqu’à + 5°C par rapport à la normale saisonnière, et ce sur une période de dix semaines. C’est lors de cet épisode qu’ont été observés les premiers blanchissements coralliens dans le récif de Ningaloo, au large des îles Abrolhos et de la côte de Pilbara. Plus récemment, entre 2013 et 2015, le Pacifique nord-ouest a connu les plus fortes vagues de chaleur jamais enregistrées localement. Connues sous le nom de “Blob”, des températures de + 2,6 °C supérieures à la normale ont été observées.
Fig. 1 Carte mondiale des principales vagues de chaleur marine survenues depuis 1995. L’échelle d’intensité de chaque extrême (de modéré à extrême) représente les conditions correspondant à la date du pic de l’événement. Adapté de Smith et al. 2021.
Comment se forment des vagues de chaleur et comment évoluent-elles ?
Les vagues de chaleur marines sont le résultat d’une combinaison de processus océaniques et atmosphériques : modification des courants marins, affaiblissement temporaire des vents, une nébulosité plus faible, augmentation de la température de l’air, de l’eau, etc.
Il existe par ailleurs une relation entre la variabilité naturelle du climat, l’apparition et l’intensité des vagues de chaleur marines. Par exemple, le phénomène “El Niño” semble accroître l’irruption de vagues de chaleur marines dans l’océan Pacifique central et oriental.
El Niño
Le phénomène El Niño est un phénomène de variabilité naturelle de notre système climatique. Il affecte principalement le Pacifique et ses pays limitrophes. S’observe dans sa région centrale et orientale, un réchauffement inhabituel des eaux de surface suite à un affaiblissement des Alizées. Ceci à pour effet d’accroître et de déplacer les perturbations atmosphériques. Des précipitations accrues et des tempêtes plus fréquentes sont observées dans certaines régions, tandis que d’autres connaissent une multiplication des sécheresses. Cette situation entraîne également le déplacement des zones de précipitations vers l’est dans l’océan Pacifique et empêche la remontée des eaux froides le long de la côte ouest du continent Américain. Cette modification des interactions atmosphère-océan à grande échelle peut donc favoriser l’apparition de canicules marines dans le Pacifique est.
En 2021, près de 60 % de la surface de l’océan a connu au moins une période de vagues de chaleur océaniques. Bien que ces dernières affectent l’ensemble du globe, elles sont inégalement réparties et les mers tropicales, la Méditerranée, l’océan Arctique et l’ouest du Pacifique sont particulièrement touchés par ces épisodes. Ces zones sont amenées à être d’autant plus vulnérables que la fréquence des vagues de chaleur marine devrait augmenter avec le changement climatique. D’ici 2100, la probabilité de vagues de chaleur marines pourrait être 60 fois plus élevée que sur la période 1850-1900 dans les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre les plus pessimistes.
Des impacts en cascade sur la biodiversité marine et les sociétés humaines
Quelles conséquences sur la vie marine ?
L’augmentation brutale des températures met en péril de nombreux écosystèmes marins qui atteignent des points de bascule (tipping point en anglais) : un seuil au-delà duquel les espèces atteignent les limites de leur résilience. Les conséquences sont durables et souvent irréversibles pour de nombreuses espèces qui subissent des phénomènes de mortalité de masse.
C’est notamment le cas des récifs coralliens. À la fin de l’été 1999 en Méditerranée, une vague de chaleur marine mesurée jusqu’à 50 mètres de profondeur a provoqué une mortalité importante de gorgones et d’autres organismes benthiques. Selon Denis Allemand, directeur scientifique du Centre Scientifique de Monaco, “il a été évalué que certaines zones de la mer de Ligure avaient connu des taux de mortalité atteignant 100%, suggérant que des millions de gorgones sont mortes le long de la côte. Or, cet écosystème abrite près de 15 à 20% des espèces connues en Méditerranée !”. De tels niveaux de mortalité ont de nouveau été enregistrés en août 2022, alors qu’une vague de chaleur marine entraînait une hausse des températures de + 4 à + 6°C au-dessus de la moyenne en Méditerranée.
Les vagues de chaleur marines ont également des incidences sur la distribution des espèces. Avec la disparition de certains écosystèmes, les populations d’origine disparaissent ou migrent vers des eaux plus froides, au profit d’espèces opportunistes invasives, à l’instar des poissons-lions, des oursins et des méduses. Les températures plus élevées, combinées à la désoxygénation des eaux, peuvent également favoriser la prolifération d’algues toxiques et modifier profondément les populations de plancton. Ainsi, la composition et le fonctionnement des écosystèmes marins sont profondément transformés dans chaque région de l’océan, bien au-delà de la zone directement affectée par les vagues de chaleur marines.
Ces événements extrêmes pourraient à leur tour aggraver le changement climatique en altérant la capacité d’atténuation de l’océan et de ses écosystèmes. Les vagues de chaleur marines ont ainsi une incidence sur le cycle du carbone océanique en réduisant la densité des flux de CO2 entre l’air et la mer, particulièrement lors d’événements climatiques extrêmes tels qu’El Niño. Les écosystèmes dits de « carbone bleu » qui captent de grandes quantités de CO2 sont également affectés. Comme l’indique le GIEC, « s’ils sont dégradés ou perdus, les écosystèmes de carbone bleu sont susceptibles de relâcher la plupart de leur carbone dans l’atmosphère ».
Les sociétés humaines ne sont pas épargnées
Les sociétés humaines ne sont pas épargnées par les conséquences des vagues de chaleur marines. Les modes de vie, les sources de revenus, d’emplois et d’alimentation, ainsi que les cultures des populations côtières sont directement menacés.
Un secteur particulièrement exposé est celui de la pêche. Ces phénomènes entraînent l’effondrement de certaines populations de poissons, favorisent la croissance rapide d’espèces opportunistes et entraînent une perte de diversité, ce qui a un impact significatif sur la disponibilité des ressources et la composition des espèces pêchées. De plus, l’aquaculture est également touchée par ces vagues de chaleur : les espèces élevées subissent un stress thermique important pouvant affecter leur comportement, leur capacité de reproduction et éventuellement leur système immunitaire. Comme l’indique Didier Gascuel, directeur du pôle halieutique de l’Institut Agro Rennes-Angers : « Les vagues de chaleurs participent à l’érosion de la biodiversité fonctionnelle des écosystèmes marins et à la multiplication des “chaos de la nature”, soit des phénomènes peu prévisibles de changements rapides des abondances d’espèces, qui rendent la gestion des pêches particulièrement problématique”.
Entre 2013 et 2015 dans le Pacifique nord-ouest, le Blob a eu pour conséquence de profondément modifier l’abondance, la distribution et la valeur nutritionnelle des invertébrés et des poissons. Le secteur de la pêche, en particulier la pêche à l’ormeau, a été durement touché par ces modifications des écosystèmes. Dans les eaux au large de la côte ouest des États-Unis, la prolifération d’algues toxiques s’est accrue, tandis que les forêts de laminaires ont subi un déclin significatif et que les populations d’oiseaux marins ont connu un effondrement.
Les coûts économiques sont colossaux. En 2016 dans le sud du Chili, un épisode de chaleur avait ainsi engendré plus de 800 millions de dollars de pertes directes pour l’aquaculture. À l’échelle planétaire, les pertes économiques occasionnées par les phénomènes de mortalité de masse s’élèvent à plusieurs milliards de dollars chaque année.
Comment répondre au défi des vagues de chaleur marines ?
Face aux vagues de chaleur marines, il est urgent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Chaque dixième de degré compte et il est donc capital de garder le cap des 1.5°C afin de limiter les impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines.
Dans le même temps, il s’agit de préparer les populations à la survenue de nouvelles vagues de chaleur marines en adaptant les sociétés et leurs activités. Renforcer les systèmes de surveillance et d’alerte précoce, améliorer la collecte et le partage de données en temps réel sur les températures de surface de la mer, sur les courants océaniques et sur d’autres paramètres pertinents peuvent aider à anticiper les changements de conditions et à y réagir rapidement. Les secteurs de la pêche et de l’aquaculture pourraient ainsi mieux se préparer en ajustant notamment les saisons de pêche, et en prévoyant d’éventuelles fermetures temporaires.
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Rédaction : Arno Coblentz, Anaïs Deprez, Sarah Palazot, Niagara Poulain
Avec les contributions de : Denis Allemand (Centre Scientifique de Monaco), Didier Gascuel (Institut Agro Rennes-Angers), Sabrina Speich (ENS-PSL)
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