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A l’issue de quatre ans de négociations intenses, la 15ème Conférence des Parties (COP15) de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) s’est clôturée le dimanche 19 décembre avec l’adoption d’un accord historique pour enrayer la perte de biodiversité et, à terme, inverser la tendance d’ici à 2030. Alors que la conférence s’est ouverte sur un avertissement d’Antonio Guterres, qui n’a pas hésité à déclarer que “l’humanité est devenue une arme d’extinction massive”, l’Accord de Kunming-Montréal a suscité un soulagement pour tous les délégués et la société civile, confrontés à un manque d’ambition et d’engagement politiques dans les premiers jours de la conférence. Cependant, malgré des débuts difficiles et grâce à la mobilisation des acteurs non étatiques et au soutien important des ministres au cours des derniers jours, les délégués ont pu parvenir à un accord relativement ambitieux pour protéger la biodiversité mondiale. L’adoption, attendue de longue date, de l’objectif visant à protéger au moins 30% des eaux terrestres et intérieures, ainsi que 30% des zones côtières et marines d’ici à 2030, a marqué une étape importante.
La mise en place d’un cadre politique complet et holistique, complémentaire au régime climatique.
Le mandat de la CDB couvrant toute la vie sur Terre, c’est-à-dire les écosystèmes terrestres et marins, la communauté océan s’est fortement mobilisée lors de la COP15 pour que l’océan ne soit pas sous-représenté dans le cadre post-2020. Afin de garantir une plus grande prise en compte des questions relatives à l’océan en termes de mise en oeuvre, l’Accord de Kunming-Montréal reconnaît explicitement certains services fournis par des écosystèmes marins en bonne santé, tels que la gestion durable de la pêche et de l’aquaculture pour renforcer la résilience et assurer la sécurité alimentaire mondiale.
Le nouveau cadre reconnaît également le rôle de la nature dans la régulation du système climatique mondial, tout en soulignant les “impacts du changement climatique et de l’acidification de l’océan sur la biodiversité”. En conséquence, il invite les parties à adopter des solutions fondées sur la nature et/ou des approches fondées sur les écosystèmes pour atténuer le changement climatique et s’y adapter. Bien qu’il ne mentionne pas explicitement son pendant climatique, le cadre appelle à “renforcer la collaboration, la coopération et les synergies” avec d’autres accords multilatéraux et organisations internationales pertinents, ce qui inclut sans aucun doute l’Accord de Paris de la Convention sur le climat (CCNUCC). En effet, le plaidoyer en faveur de synergies accrues et renforcées entre le CNUCC et la CDB a été fort et clair tout au long de la conférence. Il a même été au centre d’une journée sur le thème “Transformative Change for Nature Positive Pathways” au pavillon des convention de Rio, au cours duquel la Plateforme Océan & Climat a présenté quatre pistes pour développer la collaboration: science, politique, action, finance.
Protéger au moins 30 % des écosystèmes côtiers et marins d’ici à 2030
Ce « Pacte pour la paix avec la nature » se décline en 4 objectifs généraux et 23 cibles pour la protection de la biodiversité mondiale. Le plus emblématique d’entre eux, porté par plus de 110 pays réunis au sein de la Coalition de Haute Ambition pour la Nature et les Peuples, assure la protection « d’au moins 30 pour cent des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines » d’ici 2030 (cible 3) – alors que les zones actuellement protégées représentent respectivement 17 et 8 pour cent. Cette décision a été très bien accueillie par la communauté des acteurs de l’océan, d’autant plus que la répartition entre la terre et l’océan est restée vague jusqu’à la toute fin des négociations. Si, à ce stade, l’objectif ne précise pas le niveau de protection ou d’autres normes de qualité pour la gestion, la France et le Costa Rica ont clairement exprimé leur intention de créer une « coalition de haute ambition 2.0 », en transformant la coalition qu’ils président actuellement en une plateforme destinée à soutenir la mise en œuvre. Il pourrait s’agir d’une étape majeure pour garantir que les aires marines protégées procurent effectivement des avantages sociaux et écologiques.
La conservation devant aller de pair avec des mesures fortes pour s’attaquer aux facteurs sous-jacents de la perte de biodiversité et gérer durablement les 70 % de l’océan restant, cet objectif a été complété par deux autres. Le premier prévoit que « toutes les zones fassent l’objet d’une planification spatiale participative intégrée incluant la biodiversité et/ou de processus de gestion efficaces » d’ici à 2030 (objectif 1), tandis que le second appelle à ce qu’« au moins 30 % des zones d’écosystèmes terrestres, d’eaux intérieures, côtiers et marins dégradés fassent l’objet d’une restauration efficace » d’ici à 2030 (objectif 2). Ces cibles, qui ont pour objectif la connectivité écologique et l’intégrité des écosystèmes, reconnaissent la nécessité d’une approche holistique de la gestion des écosystèmes à l’échelle mondiale.
Cette approche holistique se veut également inclusive. Elle permet une approche équilibrée avec un niveau approprié de protection et d’utilisation durable pour les peuples autochtones et les communautés locales, y compris les petits pêcheurs. Le cadre prévoit donc de compléter les zones hautement protégées par des zones gérées, telles que d’autres mesures efficaces de conservation par zone, et de maintenir l’intendance de ces communautés sur les territoires traditionnels. Ce nouveau cadre a réellement créé un précédent dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones et des communautés locales (IPLC) par rapport aux précédents objectifs d’Aichi. Le cadre place le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones et des communautés locales au cœur de l’action en faveur de la biodiversité. Il est inclus comme premier principe directeur du cadre, les parties reconnaissant les rôles et les contributions de ces acteurs locaux en tant que « gardiens de la biodiversité et partenaires dans la conservation, la restauration et l’utilisation durable« .
La reconnaissance de l’importance et du potentiel d’une approche intégrant l’ensemble de la société pour mettre en œuvre le cadre
L’accord de Kunming-Montréal aborde également les questions du « comment », en réfléchissant aux conditions favorables à la mise en œuvre effective des buts et objectifs du cadre. Alors que la déclaration « Pas de Paris sans Montréal » soulignait clairement le rôle moteur des acteurs non étatiques, les Parties ont explicitement reconnu l’importance et le potentiel de l’adoption d’une approche intégrant l’ensemble de la société. Elles ont identifié « l’action et la coopération de tous les niveaux de gouvernement et de tous les acteurs de la société » comme une condition préalable au succès de la mise en oeuvre. Manuel Pulgar Vidal, qui est actuellement champion du programme d’action pour la nature et l’humain dans le cadre de la CDB, a chaleureusement salué cette initiative et encouragé les parties à aller plus loin et à renforcer le mandat du programme d’action.
Le programme d’action pour la nature et l’homme, qui reste jusqu’à présent une plateforme d’engagement volontaire, pourrait devenir un moyen clé pour mettre en œuvre efficacement ce cadre. L’extension de son mandat pourrait changer la donne dans la manière dont les acteurs de l’océan se mobilisent et influencent les décideurs pour susciter des actions concrètes et des flux financiers pour l’océan et ses écosystèmes. A cet égard, il y a beaucoup à apprendre du régime climatique. Le Partenariat de Marrakech pour l’action mondiale en faveur du climat (MP-GCA), un espace dédié aux acteurs non étatiques dans le cadre de la Convention sur le climat, s’est avéré déterminant ces dernières années pour ancrer l’océan dans l’action internationale en faveur du climat. Le MP-GCA pourrait informer et aider à rendre opérationnel son homologue pour la biodiversité, le Programme d’action pour la nature, et ouvrir la voie à une approche holistique et coordonnée. Un certain nombre de discussions formelles et informelles ont eu lieu à Montréal afin d’identifier les prochaines étapes nécessaires pour garantir que les acteurs non étatiques participent activement à la solution, tout en créant de nouvelles formes de collaboration entre les régimes du climat et de la biodiversité pour atteindre des objectifs communs.
Tout comme le bilan mondial sur le climat, l’accord de Kunming-Montréal prévoit également un cadre de suivi, exigeant des pays qu’ils surveillent et fassent rapport tous les cinq ans ou moins sur un large ensemble d’indicateurs liés aux progrès réalisés par rapport à ses objectifs et cibles. Ce dernier vise à renforcer la transparence, la responsabilité et la conformité de l’action des parties, ce qui a été identifié comme l’une des lacunes évidentes des objectifs d’Aichi en matière de biodiversité.
La création d’un fonds mondial pour la biodiversité égide du Fonds pour l’environnement mondial (FEM)
Considérant que le succès du cadre dépend largement de ressources adéquates et équitablement réparties, les Parties ont convenu – non sans difficulté – d’augmenter le financement de la biodiversité pour mettre en œuvre le cadre, en mobilisant au moins 200 milliards de dollars par an d’ici 2030 (objectif 19). Les parties ont également demandé au Fonds pour l’environnement mondial (FEM) de créer, dès que possible, un fonds de financement spécial – appelé « Fonds du cadre mondial pour la biodiversité » – afin de compléter le soutien existant et d’augmenter le financement pour assurer la mise en œuvre du cadre dans les délais. Ils ont en outre insisté sur la « nécessité de lancer rapidement la mobilisation immédiate de ressources de toutes provenances« , reconnaissant ainsi l’urgence et l’ampleur de la crise actuelle. Bien qu’il existe encore un déséquilibre avec les besoins réels, il s’agit de mesures très encourageantes pour combler le déficit de financement de la biodiversité – qui est actuellement estimé à une moyenne de 711 milliards de dollars par an (Deutz et al., 2020).
Dans le cadre de cet objectif, les parties ont spécifiquement convenu de porter l’aide publique au développement (APD) des pays développés vers les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, à au moins 20 milliards de dollars par an d’ici 2025, et à au moins 30 milliards de dollars par an d’ici 2030 – appelant à une solidarité internationale accrue du Nord vers le Sud. Un certain nombre de pays ont répondu à cet appel, et 11 gouvernements, l’Union européenne et le FEM ont annoncé de nouveaux financements en faveur de la biodiversité.
À l’avenir – notamment dans le cadre de l’examen de la stratégie de mobilisation des ressources lors de la COP16 (2024) – il sera nécessaire d’aligner davantage tous les flux financiers, en tenant compte d’un large éventail de sources financières.
En complément de ces engagements financiers et de ces promesses, les parties ont convenu « d’éliminer, de supprimer progressivement ou de réformer les incitations, y compris les subventions, néfastes pour la biodiversité« , ainsi que de les réduire d’au moins 500 milliards de dollars par an d’ici 2030 (objectif 18). Cette décision fait écho aux efforts en cours sur les subventions néfastes à la pêche dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui sont au point mort, et pourrait fournir une occasion d’aller de l’avant. La grande majorité des membres de l’OMC sont également parties à la CDB, et pourraient demander une certaine cohérence.
Alors que de nombreuses parties prenantes s’inquiétaient d’un potentiel échec des négociations, l’accord de Kunming-Montréal a marqué un moment historique en adoptant un cadre relativement ambitieux pour la biodiversité mondiale et ses nombreuses contributions à la nature et aux populations. Bien sûr, il reste beaucoup à faire pour que le cadre mondial pour la biodiversité post-2020 soit effectivement mis en œuvre et ne subisse pas le même sort que son prédécesseur. En seulement 8 ans, ⅓ des terres et de l’océan global doivent être protégés, il n’y a donc clairement plus de temps à perdre. Pour garantir la poursuite des progrès, il sera impératif de continuer à relier les régimes du climat et de la biodiversité et d’utiliser les deux forums pour mettre en avant le rôle de l’océan et des écosystèmes marins et côtiers.
Auteurs : Marine Lecerf et Loreley Picourt, avec le soutien de Florine Dominguez, Louise Robillard et Anaïs Deprez