Débloquer les flux financiers pour la résilience des villes côtières

 

Aux États-Unis, le vote de l’Inflation Reduction Act a fait grand bruit dans l’actualité climatique. Considérée comme historique, cette loi prévoit d’allouer dans les prochaines décennies près de 370 milliards de dollars à l’action climatique et aux énergies renouvelables. Dans ce budget, une enveloppe de 2,6 milliards de dollars sera allouée au soutien des communautés côtières pour des activités de conservation, de restauration et de protection des ressources et des écosystèmes côtiers et marins, ainsi que pour l’adaptation aux événements extrêmes et autres impacts du changement climatique. Si cela représente moins de 1 % du montant total, c’est un signal fort : l’adaptation des littoraux ne peut plus être ignorée et ne pourra être possible qu’avec le déblocage de capitaux supplémentaires.

À travers le monde, les communautés côtières sont confrontées à des menaces croissantes. Dans le nord-est de l’Inde, de nombreux habitants ont été contraints de reconstruire leur maison à de nombreuses reprises, parfois jusqu’à huit fois au cours de la dernière décennie. Au Nigeria, certains quartiers de Lagos, la plus grande ville du continent africain, pourraient bientôt devenir inhabitables en raison d’inondations trop fréquentes. 

Alors qu’elles sont exposées à de multiples impacts climatiques et pressions anthropiques, les villes côtières concentrent une part importante et croissante de la population mondiale, des biens culturels et des activités économiques essentielles telles que des infrastructures routières, des ports, des centrales énergétiques ou certaines industries. Dans les 136 plus grandes villes côtières du monde, les pertes moyennes liées aux inondations devraient atteindre 52 milliards de dollars par an d’ici 2050. Mais si les mégalopoles côtières sont extrêmement vulnérables aux changements des conditions océaniques, ce sont principalement les villes secondaires qui enregistreront la plus forte croissance urbaine au cours des prochaines décennies. Pourtant, comme le soulignait le sixième rapport d’évaluation du GIEC, ces villes ont des difficultés à accéder au financement pour l’adaptation en raison d’un faible intérêt des  investisseurs et de financements internationaux encore trop faibles.

L’année 2022 a été marquée par des messages forts envoyés par les maires et gouverneurs de villes : à Brest, plus de 40 villes de 22 pays ont signé la Déclaration Sea’ties ; tandis qu’à Abidjan, la première COP des villes a réuni une centaine de maires du monde entier afin d’échanger et appeler à l’action pour l’adaptation des villes côtières. Parallèlement, la Race to Resilience affichait à la COP27 l’objectif de rendre 4 milliards de personnes plus résilientes d’ici 2030. Pour cela, les Champions du Climat mobilisent des réseaux de villes et des acteurs financiers de premier plan afin de débloquer des fonds en faveur de la résilience des villes et territoires côtiers.

Le « Blue Tinted White Paper, Investment Protocol : Unlocking Financial Flows for Coastal Cities Adaptation to Climate Change and Resilience Building » vise à mettre en évidence les besoins spécifiques des villes côtières et à éclairer les décisions d’investissement futures.

La nécessité d’une approche de l’adaptation spécifique aux villes côtières

Investir dans l’adaptation des villes côtières nécessite une approche spécifique. En priorité, les investisseurs doivent tenir compte des quatre caractéristiques suivantes.

Premièrement, une seule et unique solution ne peut répondre à la diversité des territoires et des défis auxquels ils sont confrontés. Il s’agit de combiner un large éventail de réponses (retrait stratégique, solutions fondées sur la nature, accommodation) afin de répondre aux besoins locaux. En outre, alors que les villes riches et densément peuplées continuent de construire des ouvrages de protection, ceux-ci restent et deviendront de plus en plus inabordables pour les territoires défavorisés. De nouvelles formes d’adaptation plus inclusives doivent être conçues pour répondre aux besoins des populations marginalisées tout en préservant les écosystèmes côtiers.

Deuxièmement, du fait d’une gouvernance des territoires côtiers souvent fragmentée à plusieurs échelles géographiques , une meilleure collaboration entre les collectivités territoriales est nécessaire au renforcement de la résilience des espaces côtiers. Cette coordination multi-niveaux implique que les dispositifs financiers aillent au-delà des limites administratives des communautés côtières directement touchées par les impacts du changement climatique, notamment pour associer les territoires en rétro-littoral, eux aussi indirectement concernés par les submersions et l’érosion du littoral.

Troisièmement, il n’est pas possible de prédire précisément l’ampleur et la fréquence des changements à venir. Il est donc nécessaire de planifier l’adaptation en composant avec cette incertitude. Les financements et les investissements doivent eux aussi s’inscrire dans le long terme, intégrer l’incertitude climatique et ainsi garantir la résilience des projets.

Quatrièmement, il convient de garder à l’esprit qu’il existe un déséquilibre abyssal entre les ressources financières des pays développés et celles des pays en développement. Ces derniers sont souvent dépendants des subventions publiques et attirent peu les investisseurs privés. En effet, alors que les institutions publiques nationales, régionales et locales gagnent difficilement la confiance des bailleurs internationaux, le secteur privé est encore peu présent et souvent réticent à investir.

Les leviers pour accélérer le financement dans les pays du Sud

Un paradoxe persiste dans la relation entre les villes côtières faiblement dotées en ressources et les institutions financières internationales de développement (IFD). Alors que les villes déplorent le manque de moyens financiers et de capacités humaines pour formuler des demandes de subventions, les bailleurs de fonds peinent à identifier des projets et donc à engager les fonds dont ils disposent. L’offre ne répond pas à la demande. Un premier défi est donc de structurer la demande sur le long terme afin que les IFD et les villes ayant besoin d’un soutien technique et financier puissent travailler ensemble plus efficacement.

Pour accélérer l’adaptation des villes côtières, davantage d’investissements privés sont nécessaires. Cependant, l’absence de mécanismes permettant de traduire les bénéfices de la résilience côtière en flux de revenus quantifiables constitue un obstacle à l’investissement. Il est donc essentiel de fixer un prix sur les différentes solutions et les co-bénéfices qu’elles fournissent. Pour cela, des analyses multicritères qui intègrent des variables telles que l’équité, l’acceptabilité sociale, le bien-être humain, la vulnérabilité environnementale ou du patrimoine paysager, doivent être promues et privilégiées.

L’essor de l’économie bleue suscite de nombreux espoirs quant aux nouvelles opportunités de production d’énergies propres, de transports écologiques et d’alimentation durable. Toutefois, pour être durable, cette « accélération bleue » se doit de soutenir une transition juste et équitable, de tenir compte de l’impact du changement climatique et de contribuer à la résilience des communautés qui souffrent déjà de ces impacts. En ce sens, des synergies doivent naître. Par exemple, une partie des investissements nécessaires à la transformation des ports, pour le stockage  de carburant vert, pourrait également servir à financer des solutions  d’adaptation des infrastructures portuaires et des communautés environnantes.

Les moyens existent pour financer l’adaptation et la résilience des villes côtières, mais leur mise en œuvre n’est à l’heure actuelle pas suffisante. Chefs d’États, gestionnaires des villes côtières, bailleurs de fonds publics et privés et industries marines, doivent se réunir et s’engager ensemble à relever ce défi social majeur.

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Ignace Béguin Billecocq, Théophile Bongarts |28 SEPTEMBRE 2022, ACTUALISÉ LE 15 FÉVRIER 2023